OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sandrine Bélier : « Loppsi nous prépare à l’enfer en termes de restriction des libertés publiques » http://owni.fr/2010/02/10/sandrine-belier-%c2%ab-loppsi-nous-prepare-a-l%e2%80%99enfer-en-termes-de-restriction-des-libertes-publiques-%c2%bb/ http://owni.fr/2010/02/10/sandrine-belier-%c2%ab-loppsi-nous-prepare-a-l%e2%80%99enfer-en-termes-de-restriction-des-libertes-publiques-%c2%bb/#comments Wed, 10 Feb 2010 15:06:28 +0000 Reversus http://owni.fr/?p=7895 Alors que les débats autour de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) ont lieu actuellement à l’Assemblée, nous avons pu interviewer S.Bélier, eurodéputée en pointe dans ce combat.  L’enjeu est de parvenir à dépasser le cadre du Web  car ce sont nos libertés publiques qui sont menacées…


Que pensez-vous du projet de loi Loppsi actuellement à l’étude en France ?

J’en pense que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » et qu’en l’occurrence ce texte nous prépare à l’enfer en termes de restriction des libertés publiques et individuelles. Je ne suis pas par nature angoissée mais force est de constater que ce texte ne garantit aucune protection contre des risques de dérapages ultra-sécuritaires, et qu’il s’inscrit, plus particulièrement pour ce qui concerne Internet, dans une tendance généralisée à l’échelle européenne de mise sous contrôle du Net et d’appropriation de celui-ci par les pouvoirs publics comme outil de surveillance des citoyens.

Le gouvernement entend réguler Internet, pensez-vous que la neutralité du Net soit menacée ?

Oui, j’ai le sentiment qu’il y a une vraie menace. Filtrage et blocage du Net sont aujourd’hui des expressions courantes dans l’arsenal législatif présenté par un gouvernement particulièrement décomplexé dans son rapport aux libertés publiques. Avec Loppsi, après Hadopi, on franchit une nouvelle étape, en exigeant des fournisseur d’accès à Internet  (FAI) qu’ils exercent eux-mêmes des pouvoirs de contrôle et de police (en principe réservés aux autorités judiciaires et juridictionnelles) !

L’article 4 du projet de la Loppsi dispose que «(…) le présent projet d’article met à la charge des fournisseurs d’accès à Internet l’obligation d’empêcher l’accès des utilisateurs aux contenus illicites. La liste des sites dont il convient d’interdire l’accès leur sera communiqué sous la forme d’un arrêté du ministre de l’intérieur. (…)». Même si cette disposition a quelque peu évolué depuis, la garantie de la neutralité du Net est dans l’esprit de ce seul texte originel particulièrement remise en question…

Si on peut trouver cela aberrant, ce n’est malheureusement pas très surprenant au regard de la logique que semble poursuivre le gouvernement de Nicolas Sarkozy depuis quelques mois en France et en Europe.

Comment entendez-vous mener le combat contre ces dérives ?

D’abord en tentant de déplacer le débat dans l’espace public par tous moyens de communication. Il faut informer et donner les clés de compréhension des enjeux relatifs au contrôle du Net au plus grand nombre de citoyens, de plus en plus nombreux à utiliser Internet. Si généralement je préfère m’inscrire en tant que « force de proposition », dans les circonstances présentes, en tant qu’élue je me sens le devoir de ne pas rester silencieuse et d’alerter citoyens et élus sur les dérives et menaces qui pèsent sur la protection de leurs droits individuels et collectifs.

Ensuite, en tant qu’élue européenne au sein du Parlement Européen, j’entends, avec mes collègues, user du pouvoir d’initiative et législatif qui est le nôtre pour garantir le droit d’usage et d’accès à Internet ; pour protéger les Internautes, notamment dans leur droit à l’information, à la liberté d’expression et à la protection de leurs données personnelles. Au sein du groupe des Verts européens, nous avons commencé à travailler sur une Bill of Rights des Internautes. Nous prévoyons de largement diffuser ce texte pour qu’élus, blogueurs, simples citoyens viennent l’enrichir et lui donner la plus grande pertinence possible avant de le soumettre à la Commission Européenne et au Parlement Européen.

La Commission européenne peut-elle jouer un rôle?

En tant qu’exécutif européen, oui. L’Internet Core Group (Groupe de travail affilié au groupe des Verts européens, en charge – notamment – de la rédaction d’une Bill of Rights) auquel je participe a prévu d’engager un dialogue avec certains Commissaires sur ces questions. Mais là encore, même si nous avons l’oreille de certains, n’oublions pas que nous sommes dans un rapport politique difficile avec quelques Etats membres réunis au sein du Conseil et que c’est le rapport de force que nous réussirons à établir qui garantira les mesures protectrices possibles. Et nous avons besoin du soutien du plus grand nombre pour peser – c’est avec le maximum d’élus, de citoyens et d’associations que nous arriverons à préserver les libertés publiques.

Face aux critiques des internautes, le gouvernement met en avant la nécessité de filtrer les sites pédopornographiques? Que pensez-vous de cet argument et quel est selon vous le meilleur moyen d’agir contre ces sites?

C’est un argument commode, en ce sens que personne ne peut être opposé à la lutte contre la pédopornographie. Ce qui me surprend davantage, c’est que c’est le même motif qui a servi à Nicolas Sarkozy, lors de la présidence française de l’Union européenne, à justifier la riposte graduée. C’est encore ce même motif que Christine Albanel, alors ministre de la Culture, a avancé pour motiver l’Hadopi. J’ai le sentiment que cet argument n’est rien d’autre qu’un épouvantail pour cacher les vrais motifs du gouvernement. Il faut veiller, en ces temps difficiles de crise, à ce que l’invocation du « terrorisme » ou de la « pédopornographie », que tout le monde craint et contre lesquels tout le monde veut lutter, ne soient pas le prétexte à des restrictions abusives des libertés publiques…

Il y a des limites à ne pas franchir pour ne pas glisser dans un Etat policier. Il y a des principes et équilibres démocratiques qu’il faut veiller à maintenir et sauvegarder: le rôle et la place du pouvoir judiciaire dans cet équilibre est primordial pour garantir le respect des droits fondamentaux par le pouvoir exécutif lui-même.

En ce qui concerne le meilleur moyen de lutter contre les sites pédopornographiques, en toute honnêteté, je ne suis pas techniquement compétente pour répondre à cette question, mais les compétences existent, il suffit de vouloir les trouver…

Quel est votre avis sur la technologie DPI (Deep Paquet Inspection) permettant le blocage par inspection de contenus? Nathalie Kosciusko-Morizet affirmait que le gouvernement privilégierait un filtrage manuel, est-ce rassurant?

Je vous répondrai, avec un peu d’ironie, par une autre question : vous sentiriez-vous moins menacé si une censure était exercée par un individu plutôt que par une machine? Dans une moindre mesure, on pourrait répondre que oui mais soyons un peu sérieux. NKM peut habiller la chose de la manière qu’elle veut, le filtrage reste du filtrage et n’est pas particulièrement une référence en matière de respect de l’Etat de droit et de démocratie…

Quel regard portez-vous en tant qu’eurodéputée  sur la censure dans la diffusion de vidéos en ligne en Italie et sur la loi sur l’économie durable en Espagne ? Doit-on craindre de telles mesures en France ?

Concernant l’Espagne, la France n’en est malheureusement pas loin. Si des associations comme la Quadrature du Net, quelques élus et un nombre croissant d’Internautes n’avaient pas tiré la sonnette d’alarme, nous ne nous poserions même plus la question de la place de la France dans ce triste peloton de tête…

Quant à l’Italie, qu’une webTV ou une plateforme comme Youtube ou Dailymotion soient placées sous tutelle morale et financière du ministère de la Communication fait froid dans le dos. J’aimerais d’ailleurs sur ce point que mes collègues du PPE (droite parlementaire européenne, dont les élus UMP, ndlr) au Parlement repensent aux conséquences de certains de leurs votes, comme cet automne lorsqu’ils ont refusé de soutenir la résolution sur la liberté de la presse en Italie

Quant au fait de savoir si de telles mesures sont envisageables en France, Nathalie Kosciusko-Morizet nous l’a dit : la France n’est pas la Chine. Pour autant, je serais plus rassurée si nous avions des mesures réglementaires nous garantissant que ce type de dérives sont impossibles et contrôlées…

Que pensez-vous des négociations de l’UE qui ont lieu autour de l’accord commercial anti-contrefaçon  dit ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) ? Pourquoi le grand public est-il à ce point laissé dans l’ignorance?

Officiellement, on nous dit que l’opacité est une règle établie en temps de négociations. On nous dit encore que c’est une des exigences des Etats-Unis… Même les parlementaires européens n’ont aucune information sur cette négociation, malgré une demande exprimée par une résolution du PE de mai 2009, ou encore la procédure de co-décision pour les traités internationaux… C’est une situation que je n’explique pas et que je trouve tout simplement inacceptable

Vous avez évoqué dernièrement la nécessité de constituer des droits numériques. Pourtant, faut-il établir cette distinction selon vous ? Quels en sont les objectifs juridiques?

L’idée est de s’appuyer sur les droits fondamentaux existants à l’échelle européenne et d’en enrichir le spectre eu égard aux spécificités d’Internet – cela a été le cas en son temps pour la liberté de la presse. Le droit à l’accès à Internet par tous, nous l’avons déjà dit, doit par exemple être reconnu comme un droit fondamental. Internet aujourd’hui c’est un espace dans lequel s’exerce la liberté d’expression et d’information. Le monde a changé : couper l’accès à Internet à une personne, c’est la couper de son environnement professionnel, familial et social…

L’objectif c’est d’adapter nos droits protecteurs à l’époque dans laquelle nous vivons, tout simplement.

Le pearltrees de Stanjourdan afin de comprendre l’intégralité des enjeux autour du projet de loi LOPPSI :

loppsi

» Article initialement publié sur Reversus

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