OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’avortement et son dégradé de lois dans l’Europe chrétienne http://owni.fr/2011/07/25/lavortement-et-son-degrade-de-lois-dans-leurope-chretienne/ http://owni.fr/2011/07/25/lavortement-et-son-degrade-de-lois-dans-leurope-chretienne/#comments Mon, 25 Jul 2011 13:10:10 +0000 Stéphanie Lakh http://owni.fr/?p=74449 Mise à Jour : des informations ont été ajoutées sur la législation française en matière d’avortement.

De plus en plus, en France et en Europe, on évoque les « racines chrétiennes » de notre vieux continent. Racines chrétiennes qui sont souvent montrées comme ayant enrichi culturellement nos pays, mettant de côté les aspects plus contraignants de la religion : les difficultés liées au droit à l’IVG en sont des témoins plus qu’éloquents.
En effet, on remarque des inégalités flagrantes en ce qui concerne l’accession à l’IVG, souvent reliées au poids de la religion.


Afficher Législation de l’interruption volontaire de grossesse en Europe sur une carte plus grande

Entre délais permissifs et prohibition totale

Il n’existe aucune harmonie européenne, malgré de vaines volontés de la part de Bruxelles, en ce qui concerne le délai autorisant l’interruption volontaire de grossesse. La plupart des lois en la matière ont fleuri pendant les années 1970 en Europe de l’Ouest.

L’Est de l’Europe, la Roumanie exceptée, était soumise au régime de l’URSS : avortement légal jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée (absence de menstruations). Aujourd’hui, la plupart des pays européens autorisent l’avortement d’après la seule volonté de la femme, entre 10 et 24 semaines depuis les dernières menstruations.

Certains pays résistent, d’une certaine manière, à ce qui est considéré aujourd’hui comme un progrès certain pour les droits des femmes, au premier rang desquels on trouve la Pologne, l’Irlande et Malte. Dans ces trois pays, l’imprégnation de l’Église catholique est certaine et pourrait expliquer cette interdiction : la loi polonaise mettant en place cette prohibition date de 1989, chute du régime soviétique.

Malte fait partie de ces pays qui ont encore une religion d’État, le catholicisme romain. Enfin, l’Irlande est un pays très catholique, qui a même fait inscrire dans sa Constitution en 1983 un article pour la protection de la vie de l’embryon, sauf en cas de danger de mort pour la mère. Par ailleurs, Chypre n’autorise l’avortement qu’en cas de viol ou de danger certain pour la mère ou l’embryon.

En 2005, lors de leur adhésion à l’Union européenne, la Pologne et Malte avaient même tenté de faire inscrire dans le traité d’accession signé avec les Quinze une déclaration rendant immuable l’interdiction, chez eux, de l’avortement. Les autres pays ont refusé.

Un accès semé d’embûches

Malgré toutes ces lois facilitant l’accès à l’avortement, il reste difficile, dans les faits, d’accéder à l’avortement. L’éducation à la sexualité est souvent insuffisante et l’accompagnement psychologique avant et après un avortement (qui n’est pas un acte anodin) n’est pas monnaie courante.

En octobre 2010, le Conseil de l’Europe a voulu réglementer le droit à l’objection de conscience, provoquant une levée de boucliers de la part des associations pour la vie et chrétiennes, notamment. Finalement, le projet a été abandonné. Il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle de moins en moins de soignants sont attirés par les services d’IVG, ce qui remet clairement en cause, de manière concrète, la possibilité de recourir à une IVG dans les délais légaux. En effet, si aucun médecin ne peut pratiquer l’opération ou prescrire la pilule abortive (jusqu’à 7 semaines d’aménorrhée), avorter peut devenir un parcours de la combattante.

Profiter de l’espace Schengen

Lorsque le délai est dépassé dans son pays, une femme peut profiter des frontières ouvertes et aller avorter à l’étranger. Ainsi, environ 20.000 Irlandaises viennent chaque année au Royaume-Uni pour bénéficier d’un avortement.

En France, c’est souvent en Espagne que vont les femmes en détresse qui ont dépassé les 12 semaines autorisées depuis l’amendement à la loi Veil de 2001. L’Espagne a, depuis 2010, une loi autorisant l’avortement sans aucun délai. Cependant, il faut quand même un voire plusieurs avis médicaux pour avorter quand la grossesse est avancée.

L’Union européenne n’a aucune compétence pour légiférer sur une harmonisation autour des lois sur l’avortement. Pourtant, dans une résolution du 3 juillet 2002, le Parlement européen recommande la légalisation aux États membres. Les « racines chrétiennes » de l’Union européenne ne semblent pas pouvoir empêcher le recul des législations favorables à l’interruption volontaire de grossesse.

France : entre modernisation et manque d’information

En ce qui concerne la France, l’avortement est autorisé depuis l’amendement porté par Martine Aubry en 2001 jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée, soit 12 semaines de grossesse. En 2006, le site de l’Institut national d’Études démographiques (INED) recense 215 390 avortements dans l’année, d’après les statistiques hospitalières (à l’exclusion de l’interruption médicale de grossesse [IMG]).

Jusqu’alors, l’avortement était simplement “dépénalisé” grâce à la loi Veil de 1975. Par ailleurs, jusqu’en 2001, la femme était tenue de rencontrer un professionnel (psychologue, psychiatre, assistant-e social-e) avant l’IVG pour discuter de son choix et le confirmer ou non. La loi Aubry casse cette obligation : en fonction des centres IVG il est donc désormais possible qu’aucune aide ni suivi ne soit proposé.

Il existe deux techniques d’avortement : par voie médicamenteuse ou par aspiration. La première est possible jusqu’à 5 semaines de grossesse, soit 7 semaines d’aménorrhée. Depuis 2004, un médecin généraliste de ville peut procéder à cette IVG et prescrire la pilule dite “abortive” (il y a en fait deux comprimés) à son cabinet.

Entre 5 et 12 semaines de grossesse, il est question d’une intervention pratiquée en hôpital ou centre IVG, l’aspiration. La femme, bien que devant motiver sa “situation de détresse”, est considérée responsable et fait le choix, avant la fin de la 5e semaine de grossesse, de la technique pour son IVG.

La France tend donc à se moderniser par rapport à l’IVG mais il demeure un point difficile à défendre: les chiffres en matière d’IVG sont quasiment hors de portée, permettant au flou autour de ce sujet de fournir une base aux prétendus savoirs de bien des détracteurs de l’avortement, les fameux “pro-vie,” dont voici une vidéo :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Publié initialement sur Le Taurillon sous le titre L’avortement en Europe

Retrouvez notre dossier sur l’avortement :
Poussée républicaine contre l’avortement
L’avortement aux Etats-Unis: un débat graphique

Illustration Flickr CC PaternitéPartage selon les Conditions Initiales tangi_bertin et PaternitéPas d'utilisation commerciale Niccolò Caranti

]]>
http://owni.fr/2011/07/25/lavortement-et-son-degrade-de-lois-dans-leurope-chretienne/feed/ 9
Féminisme: pour en finir avec les clichés http://owni.fr/2011/02/19/feminisme-pour-en-finir-avec-les-cliches/ http://owni.fr/2011/02/19/feminisme-pour-en-finir-avec-les-cliches/#comments Sat, 19 Feb 2011 16:00:02 +0000 Stéphanie Lakh http://owni.fr/?p=47573

Ce billet a été publié sur Regardailleurs, sous le titre “Une certaine idée du féminisme” et repéré par OWNIpolitics

.

Féminisme (nom, m.) : ensemble d’idées politiques, philosophiques et sociales cherchant à promouvoir les droits des femmes et leurs intérêts dans la société civile. C’est une idée que j’ai tendance à considérer dans la continuité de ma conception de la personne. Féminisme, je le justifie depuis toujours par le besoin de rétablir un équilibre volé injustement. Féminisme : une évidence parce que nous sommes tous nés « libres et égaux en droits », après tout. Une évidence, oui, mais pas tant que ça.

Un nouveau machisme renversé ?

Le premier reproche que l’on me fait quand je m’annonce féministe porte souvent sur le terme : le féminisme serait-il un nouveau machisme renversé ? Pour cela, argument très raisonnable, répondre sur le terrain de l’histoire : le féminisme n’est pas un « isme » comme les autres. Et puis si seulement le mot dérange, « soyons universalistes » (de toute façon le féminisme différentialiste a eu son temps, à présent révolu). Mais ce reproche est souvent émis par des personnes qui ont déjà réfléchi à l’égalité des sexes, pour qui c’est une évidence, une nécessité. Ce que j’entends derrière « universaliste » plutôt que « féministe » c’est la volonté de ne pas s’inscrire dans une démarche militante, mais davantage individuelle, un effet boule de neige.

Ce reproche, je l’admets tant qu’il ne cherche pas à parasiter le débat : tant qu’il ne focalise pas les idées féministes sur le terme qui les définit. Beaucoup de femmes ne s’affirment pas féministes, et parfois s’éloignent de cette appellation, mais inscrivent leur parcours dans une démarche que l’on pourrait qualifier de féministe (mais on ne le fera pas parce que chacun a le droit de choisir comment se définir).

L’autre critique assez répandue, notamment en France, s’appuie davantage sur le fond : les féministes ne seraient-elles pas des hystériques poilues et frustrées, probablement lesbiennes tant qu’on y est (considérant ainsi que l’on choisit sa sexualité) ? Là, peut-être touche-t-on le cœur du problème : qu’est-ce que le féminisme soulève pour valoir tant de reproches ? Ou plutôt : pourquoi veut-on cantonner les femmes à une place particulière ? Et si on déconstruisait méthodiquement les reproches faits (et entendus maintes fois) ?

L’homme canalise la femme par son phallus, c’est bien connu

La féministe est hystérique : on doit à Freud l’amalgame femme = hystérique, mais, aujourd’hui, dans les définitions médicales du terme (il s’agit bien d’une maladie), on ne trouve pas de référence précise au genre lié à cette maladie. Et puis l’argument est de toute façon vicié : pour tout profane, chaque militant est « hystérique » — surtout quand c’est une femme.

La féministe est poilue : à ça j’aimerais répondre « Et alors ? N’est-on pas libre de ses choix en matière d’épilation ? », mais je crains de passer pour une hystérique. Pourtant, l’épilation comme diktat est légion surtout en France : l’observation empirique permet de déterminer que n’être pas lisse dans les douches des piscines municipales n’est pas une tare à l’étranger. Par ailleurs, que signifie l’épilation ? Pourquoi la femme se devrait-elle d’être imberbe : pour l’homme ? pour la société ? La question de l’épilation divise beaucoup les femmes, on s’aime la peau douce. On nous a appris à nous aimer la peau douce. L’épilation est sans doute le symbole de la domination masculine le mieux intériorisé par les femmes. Sous-tendue par le « poilu », la question du laisser-aller des féministes : comme si une femme en jupe et en talons ne pouvait avoir des revendications égalitaires. Ou comme si un garçon manqué (écoutons les mots, ils parlent tout seuls) était automatiquement féministe. Syllogisme qui tombe dès qu’on l’établit.

La féministe est frustrée : « Elle est mal baisée » est sans doute mon expression préférée de la langue française. Un homme frustré doit « se vider », une femme frustrée doit « être baisée » : la passivité de la phrase est éloquente. Cela signifierait qu’une femme heureuse et comblée sexuellement ne pourrait avoir des idées féministes (ou des idées tout court… ?). L’homme, via son phallus, permet donc de canaliser la femme hystérique (qui s’est donc épilée pour l’occasion, si elle est délicate). Charmante conclusion. Je ne sais même pas s’il faut prendre de l’énergie pour la contredire…

La féministe est lesbienne : forcément. Frustrée de ne pas trouver d’homme parce qu’elle est négligée, la féministe doit se rabattre sur ses semblables pour trouver le bonheur. Sauf que le prémisse est déjà faux : la sexualité n’est pas choisie par l’individu, l’orientation sexuelle n’est pas un choix, plutôt une question d’ordre biologique. Par conséquent, non, toute féministe n’est pas lesbienne (et quand bien même : l’orientation sexuelle n’est pas un défaut ou quelque chose à poser comme reproche, quelle que soit la situation).

« La » féministe : certains n’envisagent pas qu’un homme puisse être féministe. J’en ai croisé lors de manifestations pro-choix, et pas qu’un. Et ils n’avaient pas le visage allongé de ces hommes qui attendent à la sortie d’un magasin que leur compagne en finisse enfin. Pour continuer dans le cliché, ils n’étaient pas tous homosexuels. Des hommes, sexuellement normés, prennent donc part au combat féministe. En effet, une féministe ne cherche pas à castrer les hommes, au contraire.

Pour finir, le reproche que je chéris sur le féminisme est celui porté par des femmes qui, bien qu’indépendantes après des études et un accomplissement professionnel certain, refusent de faire une croix sur la galanterie. Ainsi donc, il faudrait continuer à être fragiles face à ces messieurs qui sont heureusement là pour nous pousser portes et chaises. Il est également bienheureux que les hommes aient un travail, cela permet d’être invitées au restaurant. Sur ce point, il semble qu’il pourrait s’agir de choix personnels plus que de militantisme. Pourtant, je ne vois pas comment faire avancer la cause quand on se décrédibilise en se révoltant parce qu’un homme ne s’est même pas levé pour nous céder sa place dans le bus. Il y a là une incohérence nuisible.

Et encore, je n’évoque pas l’idée reçue que « chez nous, c’est gagné, plus besoin de parler de féminisme, c’est dépassé ». J’aimerais bien en passer par les chiffres des violences conjugales, affligeants, ou bien par les différences de salaire, incroyables, ou encore par les publicités éminemment sexistes (femme à la cuisine, homme dans la voiture), pitoyables. Mais je pense surtout qu’aujourd’hui, avec toutes les informations disponibles que l’on a, si on refuse d’accepter que les femmes sont discriminées, c’est que les œillères sont trop enfoncées. Le féminisme touche à quelque chose de trop intime, de trop profondément ancré dans nos sociétés pour être discuté en toute objectivité. Certains refusent simplement d’accepter qu’il y a quelque chose à voir. Comme quand on croise un sans abri : on détourne le regard, c’est tellement plus simple.

Illustrations Flickr CC Yann Caradec, Le Monolecte et AudreyAK

]]>
http://owni.fr/2011/02/19/feminisme-pour-en-finir-avec-les-cliches/feed/ 87
Le féminisme n’est pas un « isme » comme les autres http://owni.fr/2011/02/17/le-feminisme-n%e2%80%99est-pas-un-%c2%ab-isme-%c2%bb-comme-les-autres/ http://owni.fr/2011/02/17/le-feminisme-n%e2%80%99est-pas-un-%c2%ab-isme-%c2%bb-comme-les-autres/#comments Thu, 17 Feb 2011 09:50:33 +0000 Stéphanie Lakh http://owni.fr/?p=38074 Féminisme (nom, m.) : ensemble d’idées politiques, philosophiques et sociales cherchant à promouvoir les droits des femmes et leurs intérêts dans la société civile. C’est une idée que j’ai tendance à considérer dans la continuité de ma conception de la personne. Féminisme, je le justifie depuis toujours par le besoin de rétablir un équilibre volé injustement. Féminisme : une évidence parce que nous sommes tous nés « libres et égaux en droits », après tout. Une évidence, oui, mais pas tant que ça.

“Vous les femmes” …

Le premier reproche que l’on me fait quand je m’annonce féministe porte souvent sur le terme : le féminisme serait-il un nouveau machisme renversé ? Pour cela, argument très raisonnable, répondre sur le terrain de l’histoire : le féminisme n’est pas un « isme » comme les autres. Et puis si seulement le mot dérange, « soyons universalistes » (de toute façon le féminisme différentialiste a eu son temps, à présent révolu). Mais ce reproche est souvent émis par des personnes qui ont déjà réfléchi à l’égalité des sexes, pour qui c’est une évidence, une nécessité. Ce que j’entends derrière « universaliste » plutôt que « féministe » c’est la volonté de ne pas s’inscrire dans une démarche militante, mais davantage individuelle, un effet boule de neige.

Ce reproche, je l’admets tant qu’il ne cherche pas à parasiter le débat : tant qu’il ne focalise pas les idées féministes sur le terme qui les définit. Beaucoup de femmes ne s’affirment pas féministes, et parfois s’éloignent de cette appellation, mais inscrivent leur parcours dans une démarche que l’on pourrait qualifier de féministe (mais on ne le fera pas parce que chacun a le droit de choisir comment se définir).

L’autre critique assez répandue, notamment en France, s’appuie davantage sur le fond : les féministes ne seraient-elles pas des hystériques poilues et frustrées, probablement lesbiennes tant qu’on y est (considérant ainsi que l’on choisit sa sexualité) ? Là, peut-être touche-t-on le cœur du problème : qu’est-ce que le féminisme soulève pour valoir tant de reproches ? Ou plutôt : pourquoi veut-on cantonner les femmes à une place particulière ? Et si on déconstruisait méthodiquement les reproches faits (et entendus maintes fois) ?

Féministe: hystérique, poilu(e), frustré(e) et femme

La féministe est hystérique : on doit à Freud l’amalgame femme = hystérique, mais, aujourd’hui, dans les définitions médicales du terme (il s’agit bien d’une maladie), on ne trouve pas de référence précise au genre lié à cette maladie. Et puis l’argument est de toute façon vicié : pour tout profane, chaque militant est « hystérique » — surtout quand c’est une femme.

La féministe est poilue : à ça j’aimerais répondre « Et alors ? N’est-on pas libre de ses choix en matière d’épilation ? », mais je crains de passer pour une hystérique. Pourtant, l’épilation comme diktat est légion surtout en France : l’observation empirique permet de déterminer que n’être pas lisse dans les douches des piscines municipales n’est pas une tare à l’étranger. Par ailleurs, que signifie l’épilation ? Pourquoi la femme se devrait-elle d’être imberbe : pour l’homme ? pour la société ? La question de l’épilation divise beaucoup les femmes, on s’aime la peau douce. On nous a appris à nous aimer la peau douce. L’épilation est sans doute le symbole de la domination masculine le mieux intériorisé par les femmes. Sous-tendue par le « poilu », la question du laisser-aller des féministes : comme si une femme en jupe et en talons ne pouvait avoir des revendications égalitaires. Ou comme si un garçon manqué (écoutons les mots, ils parlent tout seuls) était automatiquement féministe. Syllogisme qui tombe dès qu’on l’établit.

La féministe est frustrée : « Elle est mal baisée » est sans doute mon expression préférée de la langue française. Un homme frustré doit « se vider », une femme frustrée doit « être baisée » : la passivité de la phrase est éloquente. Cela signifierait qu’une femme heureuse et comblée sexuellement ne pourrait avoir des idées féministes (ou des idées tout court… ?). L’homme, via son phallus, permet donc de canaliser la femme hystérique (qui s’est donc épilée pour l’occasion, si elle est délicate). Charmante conclusion. Je ne sais même pas s’il faut prendre de l’énergie pour la contredire…

La féministe est lesbienne : forcément. Frustrée de ne pas trouver d’homme parce qu’elle est négligée, la féministe doit se rabattre sur ses semblables pour trouver le bonheur. Sauf que le prémisse est déjà faux : la sexualité n’est pas choisie par l’individu, l’orientation sexuelle n’est pas un choix, plutôt une question d’ordre biologique. Par conséquent, non, toute féministe n’est pas lesbienne (et quand bien même : l’orientation sexuelle n’est pas un défaut ou quelque chose à poser comme reproche, quelle que soit la situation).

« La » féministe : certains n’envisagent pas qu’un homme puisse être féministe. J’en ai croisé lors de manifestations pro-choix, et pas qu’un. Et ils n’avaient pas le visage allongé de ces hommes qui attendent à la sortie d’un magasin que leur compagne en finisse enfin. Pour continuer dans le cliché, ils n’étaient pas tous homosexuels. Des hommes, sexuellement normés, prennent donc part au combat féministe. En effet, une féministe ne cherche pas à castrer les hommes, au contraire.

Pour finir, le reproche que je chéris sur le féminisme est celui porté par des femmes qui, bien qu’indépendantes après des études et un accomplissement professionnel certain, refusent de faire une croix sur la galanterie. Ainsi donc, il faudrait continuer à être fragiles face à ces messieurs qui sont heureusement là pour nous pousser portes et chaises. Il est également bienheureux que les hommes aient un travail, cela permet d’être invitées au restaurant. Sur ce point, il semble qu’il pourrait s’agir de choix personnels plus que de militantisme. Pourtant, je ne vois pas comment faire avancer la cause quand on se décrédibilise en se révoltant parce qu’un homme ne s’est même pas levé pour nous céder sa place dans le bus. Il y a là une incohérence nuisible.

Et encore, je n’évoque pas l’idée reçue que « chez nous, c’est gagné, plus besoin de parler de féminisme, c’est dépassé ». J’aimerais bien en passer par les chiffres des violences conjugales, affligeants, ou bien par les différences de salaire, incroyables, ou encore par les publicités éminemment sexistes (femme à la cuisine, homme dans la voiture), pitoyables. Mais je pense surtout qu’aujourd’hui, avec toutes les informations disponibles que l’on a, si on refuse d’accepter que les femmes sont discriminées, c’est que les œillères sont trop enfoncées. Le féminisme touche à quelque chose de trop intime, de trop profondément ancré dans nos sociétés pour être discuté en toute objectivité. Certains refusent simplement d’accepter qu’il y a quelque chose à voir. Comme quand on croise un sans abri : on détourne le regard, c’est tellement plus simple.

Billet publié initialement sur Regardailleurs sous le titre Une certaine idée du féminisme

Illustrations Flickr CC Yann Caradec, Le Monolecte et AudreyAK

]]>
http://owni.fr/2011/02/17/le-feminisme-n%e2%80%99est-pas-un-%c2%ab-isme-%c2%bb-comme-les-autres/feed/ 40