OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La pauvreté de l’information politique http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/ http://owni.fr/2011/02/07/la-pauvrete-de-linformation-politique/#comments Mon, 07 Feb 2011 11:00:58 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=45282 Pourquoi les journalistes politiques en télévision s’attachent-ils aux tactiques politiciennes plutôt qu’au fond ? C’est l’une des questions que soulève Narvic dans son dernier billet riche et passionnant. Voici quelques hypothèses…

Il faut simplifier

Le grand public est ignare, et le format télévisuel est trop court pour s’attacher au fond. Reste donc les questions de tactique, de petite politique : les attaques, les petites phrases, les ambitions… On a droit de façon systématique à cette question cul de sac : « serez-vous candidat à la prochaine élection? » Laquelle donne lieu à la traditionnelle réponse « langue de bois » : « je ne me préoccupe pas de cela pour le moment, ce sont les Français qui m’intéressent et ma mission actuelle blabla… »

Ce parti-pris s’appuie sur un mépris plus ou moins conscient du public : « ils ne peuvent pas comprendre ». Le monde est devenu tellement complexe, comment voulez-vous faire comprendre les différentes mesures fiscales, au cœur de la politique des partis, à madame Michu qui ne maîtrise pas les bases de l’économie ? Autant demander à un aveugle analphabète de lire Proust.

Il faut donner au public ce qu’il veut

Le lecteur se fiche littéralement du fond, contrairement à ce qu’il clame. Si l’on devait croire les déclarations des enquêtes lecteurs, tous liraient Le Monde ou le Courrier international, et aucun ne s’intéressait à Voici ou Closer. Sauf que les premiers ont un tirage bien moindre (sans parler du nombre de lecteurs beaucoup plus important en presse people, en raison de la forte duplication, chez le coiffeur notamment :) Ce qui séduit le lecteur c’est le léger, le divertissant le sordide… A quoi bon tenter de forcer sa nature ?

Il faut permettre aux médias de survivre

L'Express du 6 octobre 2010

D’autant que la contrainte économique est de plus en forte sur les médias. Si la course à l’audience devient un critère permanent sur les émissions d’information, comme le JT de 20h, il devient impossible de lutter contre les infos people, insolite, faits divers proposées par le concurrent. C’est comme proposer à ses enfants des lentilles, quand la belle-famille leur offrent des fraises Tagada. Le combat est inégal à la base et perdu d’avance, du moins sur le plan quantitatif.

D’où les contorsions où sont conduits les éditeurs de presse pour vendre leurs canards avec des couvertures accrocheuses, voire racoleuses. D’où leur propension à orienter les débats vers des questions polémiques qui plaisent, suscitent l’attention et font parler de soi (publicité gratuite).

C’est la prime aux polémiqueurs

Toute controverse susceptible de « buzzer » vaut à son auteur récompense et estime de sa direction ou des concurrents. C’est la capacité de Fogiel à rentrer dans le lard de ses invités, notamment politiques, qui l’a propulsé en télévision. Comme ce sont les prises de bec entêtées de Nicolas Demorand qui ont assurément fait monter sa cote au mercato médiatique et sans doute en partie valu sa nomination à Libération. La mesure, la discrétion, le travail patient de fourmi ne sont décidément pas des valeurs à la mode dans cette course à l’attention. Compétition dans laquelle les médias, comme les individus, doivent agiter bien fort les bras pour se faire remarquer.

C’est le prix de la polyvalence

Pour poser les bonnes questions, il faut avoir une idée des réponses possibles et donc une excellente culture spécialisée en politique. Or en télévision comme en presse, ceux qui tendent à prendre la parole sont de plus en plus des généralistes avec une bonne plume. Ce que Versac appelle le syndrôme Raphaëlle Bacqué. Quand ce ne sont pas purement des amuseurs, comme Michel Denisot choisi par le Président de la République pour l’interviewer (pratique en soi d’un autre âge) et dont les questions ont exclusivement porté sur des questions de tactique et jamais sur le fond. Le côté inoffensif de l’interviewer, n’est sans doute pas étranger à ce choix, comme l’incroyable longévité d’un Alain Duhamel, désespérément insipide, en dépit de ses grands airs inspirés.

En contrepoint, quelques préconisations

Pour améliorer la qualité des débats et des questions politiques en télévision, la première chose est de sortir cette thématique du champ concurrentiel. Plutôt que mettre fin à la publicité après 20h sur le service public, le Président eut été mieux inspiré de donner au service public la garantie de perdurer. Et ce, indépendamment de l’audimat, en particulier s’agissant des JT, lieu crucial de l’information politique pour la majorité des Français. Le JT de TF1 devant celui de France 2 ? Chouette, ma redevance sert à quelque chose.

Au risque de me répéter, s’il faut donner au public ce qu’il veut, il faut aussi lui proposer ce qu’il ne sait pas encore qu’il veut. C’est le fameux paradoxe de l’oeuf et la poule. Pourquoi voulez-vous que le public demande autre chose, si on ne lui propose jamais rien d’autre que ce qu’il aime et apprécie déjà ? C’est la frilosité des médias qui est en cause ici, qui préfèrent jouer les valeurs sûres de la petite politique ou du débat controversé, plutôt que le risque de la profondeur. C’est aussi le manque de créativité dans l’absence de formats qui pourraient concilier les deux. Il nous faudrait des vulgarisateurs politiques comme Michel Chevalet dans le domaine scientique, ou qui viennent nous expliquer, schémas, cartes ou modélisations à l’appui les enjeux du débat.

Il faut des dispositifs de traitement de l’information en temps réel qui permettent aux journalistes de corriger une mauvaise information ou un mensonge des politiques au moment où ce il est proféré. Et s’inspirer de sites comme Politifacts et son Truth-o-meter qui apporte un emballage attrayant aux questions de fond : quel est le degré de vérité de telle ou telle assertion ?

Le Truth-o-meter de Politifacts.com

Il faut croire en l’intelligence des gens et se remettre en question plutôt que d’accuser la bêtise des autres. Le sujet est bien souvent moins en cause que le format proposé. Ne rejetons pas systématiquement les sujets difficiles au motif qu’ils feront peu d’audience. Sur le long terme, les médias qui survivront seront ceux qui auront réussi à préserver le fond et la forme et satisfaire des besoins différents : de divertissement, de socialisation, mais aussi de sens.

Il faut un minimum de spécialisation des journalistes, les fameux « rubriquards » autrefois incollables dans leur domaine, aujourd’hui bien souvent retraités. Comme disait Henri Béraud,

Le journalisme est un métier où l’on passe une moitié de sa vie à parler de ce que l’on ne connaît pas et l’autre moitié à taire ce que l’on sait.

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Publié initialement sur le blog Mediaculture de Cyrille Frank aka Cyceron sous le titre : Pourquoi l’information politique est-elle si pauvre ?
Crédits photos : Nationaal Archief, [Domaine Public] via Flickr ; capture d’écran de la couverture de l’Express [06102010] ; Stuck in Customs CC-by-nc-sa via Flickr ; Capture d’écran du site Politifacts.com

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Le « story-telling » contre l’information http://owni.fr/2010/12/21/le-story-telling-contre-l%e2%80%99information/ http://owni.fr/2010/12/21/le-story-telling-contre-l%e2%80%99information/#comments Tue, 21 Dec 2010 17:52:57 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=39814 Les faits sont mornes, banals, inintéressants ? Et bien, habillons-les d’un vernis narratif agréable, “vendeur” qui fera appel aux émotions : compassion, révolte, admiration. Tout plutôt que l’apathie et l’indifférence des évènements bruts.

L’enquête universitaire valide ou invalide un postulat en fonction des éléments trouvés. Les reportages d’information en particulier télévisuels, eux, sont construits en amont des preuves rassemblées. Le canevas du reportage est décidé en salle de rédaction et seuls sont collectés les images et témoignages confortant ce parti-pris, ce choix éditorial préalable.

Patrick Champagne dans “la vision médiatique” a montré comment les journalistes construisent parfois la réalité qu’ils prétendent décrire. Qu’il s’agisse du problème des banlieues ou des manifestations d’étudiants, ils vont chercher sur le terrain les éléments de réponse qu’ils ont élaboré dans leur bureau.

Story-telling, par souci de vitesse et de rentabilité

Primo, les journalistes télé n’ont guère le temps de procéder à une vraie enquête. L’actualité commande d’aller vite, “t’as une journée pour récupérer de l’image coco”. La contrainte d’organisation et derrière celle-ci la pression économique est forte.

Secondo, la course à l’audience, la concurrence pousse au spectaculaire et à la simplification.

Des émeutes à Vaux-en-Velin ? Pour en comprendre les raisons, il suffit de voir les immeubles délabrés, la tristesse des tours, l’insalubrité des lieux que l’on va filmer sous leur pire angle. Le chômage d’une poignée de jeunes qui zonent, la violence verbale des petits caïds désireux de gagner quelques galons de respectabilité en passant à la télé, suffiront à expliquer les motifs du “malaise”. Le message est simple : c’est le lieu de vie déprimant, ces “horizons bouchés” et l’oisiveté qui conduisent à la révolte, au délit.

Tant pis si les choses sont plus complexes, tant pis si la majorité des habitants de la cité est composée de travailleurs silencieux et dociles. Qu’importe si le tissu associatif est foisonnant et créatif, si tous les équipements sportifs et culturels fraîchement achetés disent le contraire du discours misérabiliste. Le journaliste ne sélectionnera que les éléments conformes à son schéma originel.

Il faut raconter cette histoire qui apportera du “sens” au téléspectateur. Mais s’il vous plaît une explication rapide, le sujet ne dure que 5 mn. Difficile d’aborder la complexité dans des formats si étroits, et pas de chance : notre monde se complexifie

Et puis l’intelligence n’est tout simplement pas rentable. Il est tellement plus vendeur d’angler un reportage de 20 mn sur la violence machiste des jeunes de banlieue. Du spectaculaire, du révoltant, de l’anxiogène coco…

L'émotion contre l'information

L’édulcoration du réel

Certains autres reportages vont procéder à l’inverse en valorisant les émotions et sentiments positifs. Le JT de 13h de Jean-Pierre Pernaud nous modèle une France idéale et irréelle de carte postale, celle de nos régions tellement riches, jolies et harmonieuses. Cette France de la tradition emplie de bon sens, de beauté, d’intelligence. Une vision conçue sur mesure pour sa cible : les retraités et femmes au foyer, majoritaires devant leur poste à cette heure de la journée.

Mais les champions toutes catégories du story-telling sont indéniablement les journalistes sportifs, en particulier en télévision. Stade2 version Chamoulaud/Holz ont poussé à son comble cette façon de faire du journalisme, par scénarisation de l’information.

Le domaine roi où s’exerce cette technique : les portraits qui sont construits à l’hollywoodienne, sur des canevas standardisés :

1- Un défi difficile, un but lointain et inaccessible (championnat, prix…)
2- Des difficultés, des épreuves, la souffrance, les injustices qui s’accumulent
3- Description des vertus du héros : gentil, persévérant, fidèle, aimant sa famille…
4- La victoire, enfin, l’apothéose, la récompense.
5- Epilogue : tout est bien qui finit bien, la morale est sauve, il n’y a pas de hasard, les justes sont récompensés. Vous pouvez dormir tranquilles, tout est bien dans le meilleur des mondes.

Dans ce vieux reportage de Stade2, le petit jeune dont on dresse le portrait, Zinedine Zidane est un gentil garçon. Et comme les mots pour le décrire ne viennent pas tout seuls à sa compagne, le journaliste n’hésite pas à les lui souffler : « il est gentil hein ? »… Construction préalable.

La vie est déjà assez dure, le sport conçu comme divertissement se rapproche de la fiction, pour servir l’émotion, y compris contre l’information.

D’où la mièvrerie de Gérard Holz qui dissimule gentiment les histoires de gros sous, la tricherie institutionnalisée du vélo ou de l’athlétisme, les vilaines batailles en coulisses. Qui idéalise les portraits des sportifs qui sont tous “sympas”, même quand tout le monde sait en coulisse qu’ils sont parfaitement antipathiques.

Dans ce monde de carton-pâte, kawaï et kitch, la télévision devient évasion, rêve, fiction sous les apparences d’une réalité objective. L’alibi derrière la guerre économique que se livrent chaînes de tv ou titres de presse est vite trouvé : donner du bonheur aux gens.

La télé réalité n’a pas été inventée par Endemol

Ce mélange de fiction et de réalité tellement dénoncé quant il s’agit du « Loft » ou de « Secret Story » ne date donc pas de ces émissions. Ce mélange emplit nos journaux télé, nos reportages, nos magazines depuis bien plus longtemps…

L’objectivité journalistique n’existe pas bien naturellement. On n’échappe pas à sa culture, son éducation, son environnement qui forgent des constructions mentales, des a-priori inconscients.

Mais s’il n’y a pas obligation de résultat en termes d’objectivité, il y a une obligation de moyens : l’honnêteté intellectuelle, la rigueur dans le recueil des données, la confrontation des points de vue, la prudence dans la présentation des informations… Autant de qualités qui font un bon journaliste (entre autres).

Aujourd’hui, la culture de l’émotion à tout prix déforme l’information. Et la compétition autour de l’attention par ultra-concurrence des messages et des émetteurs accentue le mouvement.

Sous prétexte d’apporter du sens au lecteur-téléspectateur, même si l’explication est fausse ou incomplète, sous prétexte de lui procurer du “bonheur”, on déforme la réalité. Ce qui n’est pas si grave quand on annonce clairement la couleur. Ce qui l’est davantage quand le mélange est effectué insidieusement, par la bande, sous un vernis de respectabilité.

Finalement, je préfère presque le “Loft” à “Envoyé Spécial”.
Presque.

>> Article initialement publié sur Médiaculture

>> Illustrations FlickR CC : Tayrawr Fortune, pshmell

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Honnêtement, l’objectivité n’existe pas. (Que faire ?) http://owni.fr/2010/10/02/honnetement-l%e2%80%99objectivite-n%e2%80%99existe-pas-que-faire/ http://owni.fr/2010/10/02/honnetement-l%e2%80%99objectivite-n%e2%80%99existe-pas-que-faire/#comments Sat, 02 Oct 2010 12:25:11 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=30041

Poursuivons la réflexion suscitée par la lecture de la recherche publiée par Mark Lee Hunter et Luk van Hassenhove (elle est directement disponible ici). Ces derniers s’intéressent à de nouveaux médias capables de financer de longues enquêtes journalistiques, remplaçant ainsi une industrie de la presse déclinante et déficitaire. Toutefois l’organisation, le fonctionnement, et les buts que poursuivent les médias stakeholders ne sont pas sans conséquences sur le statut des reportages et des articles qu’ils publient. Les deux chercheurs s’efforcent donc de penser une nouvelle éthique du journalisme qui puisse correspondre à ce nouveau modèle économique.

Quand les journalistes parlent “éthique”, on est souvent loin des grands débats philosophiques. L’éthique journalistique ne s’élabore pas dans la sphère éthérée de concepts abscons, inabordables ou qu’on ne peut appréhender. Il s’agit d’une éthique appliquée, en ce sens qu’elle qu’elle s’adresse à des professionnels et à des usagers qui peuvent percevoir a priori, en usant du bon sens, les éléments de tensions qui sont constitutifs de l’écriture journalistique et du rôle que remplissent les médias. Parmi les points de discorde, ressort régulièrement la notion d’objectivité. La critique du discours médiatique en a fait son cheval de bataille préféré. ACRIMED, par exemple, répète inlassablement le même mantra : Pas d’objectivité dans les médias. Good point. Faut-il pour autant douter qu’ils sont tous à la botte du grand Kapital ou de l’État (varier le scénario selon le contexte…) ? N’y a-t-il pas moyen de gagner honnêtement sa vie comme journaliste ?

En fait, la presse française (et par extension, la presse francophone) a construit sa déontologie autour d’une éthique de l’objectivité. C’est au cours du dernier quart du XIXe siècle que les journaux s’emploient à différencier ce qui relève des faits et ce qui ressort du domaine de leur interprétation. À la presse d’idées vient s’ajouter la presse d’information. Cette dernière ne va pas remplacer la première mais ces deux tendances vont cohabiter non sans quelques frictions. Ainsi, Émile Zola critiquait déjà cette manière aseptisée de rendre  compte des faits. Il y voyait le “flot déchaîné de l’information à outrance”. Trop d’info tue l’info. Le malheureux doit être en train de se retourner dans sa tombe. Il n’empêche, dès la fin du XIXe siècle, de nouveaux outils ainsi que de nouvelles méthodes commencent à apparaître. Le reportage et l’interview viennent s’intercaler entre l’analyse, l’éditorial et la chronique. La presse d’opinion qui a toujours prévalu dans la métropole française s’est donc pourvue de nouveaux outils d’objectivation qui vont permettre de renforcer le sérieux de son entreprise.

Traditions française et anglo-saxonne

Si les journalistes anglo-saxons peuvent trouver du côté de la sociologie naissante (notamment du côté de l’école de Chicago) les éléments qui vont contribuer à l’élaboration d’une méthode de travail et d’un code déontologique, la presse francophone fixe ses canons dans un contexte différent. En cette fin de XIXe, le journalisme s’inspire de l’Histoire, comme discipline académique. siècle Cette dernière est en passe de gagner ses lettres de noblesse. Le discours historique devient la science empirique qui donne la priorité aux faits. Au cours de cette période marquée par le positivisme, chercheurs et savants pensent pouvoir trouver la vérité dans l’étude impartiale des faits. Mais il n’y a pas qu’au sein des universités qu’on est convaincu par cette perspective. La presse est également persuadée d’effectuer un travail neutre et objectif dans la mesure où elle respecte un certain nombre de codes. C’est encore, me semble-t-il, le message qu’elle renvoie à ses lecteurs : “faites-nous confiance, nos outils et le cadre éthique accompagnant  notre travail nous permet de rendre compte objectivement de la réalité.” Un discours dépassé ?

Points de vue (qui se croient) objectifs.

Certes, le problème  se pose en des termes moins consternants chez nos confrères anglo-saxons qui ont toujours apprécié la notion d’objectivité avec plus de circonspection, sans pour autant s’en débarrasser totalement. Signe des temps, la société des journalistes américains a décidé d’ ôter le mot “objectivité” de son code déontologique. Mais il ne faut pas se leurrer :  l’éthique de l’objectivité a la peau dure. La défense d’un pré carré objectif soutenu par les médias contre vents et marées s’explique  par le contexte socio-économique difficile que traverse l’ensemble de la presse. La crise que traverse la presse ( mutation technologique, effondrement des modèles économiques, etc.)  ressert la corporation autour de quelques acquis qu’il s’agit de défendre (grosso modo, on a besoin de nous pour trier et enquêter). En ce sens, l’objectivité est un drapeau que les journalistes agitent sous le nez des blogueurs, des experts et des citoyens qui s’impliquent dans la petite cuisine de l’information. Grossière erreur. Irruption d’une autre crise, éthique cette fois. Car, la perte de références objectives est avant tout perçue comme une forme de déficit éthique. Pour dire, même Michael Moore se désole du fait que l’on enseigne plus l’objectivité aux journalistes en formation : “Dans les écoles américaines de journalisme, on n’enseigne plus l’objectivité mais l’apparence d’objectivité.” Les plus subjectifs des reporters du sérail médiatique peinent eux aussi à se détacher du concept.

“L’honnêteté” et surtout “la transparence”

C’est pourtant ce que propose Mark Lee Hunter. Bazarder l’objectivité. Lui préférer  “l’honnêteté” et surtout « la transparence ». La transparence est  LA vertu cardinale du journaliste du XXIe siècle selon ce journaliste passé à la recherche. Transparence sur l’endroit depuis lequel on s’exprime. Transparence sur les techniques d’investigation que l’on utilise. Transparence sur le sujet que l’on traite et sur la manière dont il nous affecte. Cette perspective commence à faire un peu son chemin au sein des rédactions francophones.

Ce qui paraît intéressant c’est que les nouvelles technologies  permettent précisément (mais pas automatiquement) cette plus grande transparence autour des modes et des conditions de production de l’information. Le site Mediapart publie régulièrement avec ses articles importants une « boîte noire » permettant à l’auteur de contextualiser l’investigation qu’il a menée. Les articles sont également munis d’un onglet « Prolonger » qui renvoie à des documents et à d’autres articles permettant de compléter ou de pousser plus loin la curiosité du lecteur. Sur les sites et les blogs, les hyperliens ont un peu la même fonction même s’ils ont parfois tendance à nous éloigner du sujet.

Dans un autre registre, il me semble  que le retour un peu mieux assumé du récit à la première personne participe de ce mouvement. Assumer son point de vue ne signifie pas nécessairement étaler son ego atrophié dans les pages des quotidiens (il y a la littérature pour cela). La revue XXI l’a bien compris, qui publie de nombreux et longs reportages dans lesquels le narrateur est directement impliqué dans l’histoire qu’il nous conte. Ce type de récit journalistique n’a en fait rien de nouveau. Il renoue avec une tradition du reportage portée par des Kessel ou des Albert Londres. Il marque assez bien le retour à un point de vue, à une focale plus assumée sur les sujets traités.

Il ne faut toutefois pas croire que ce processus est le seul fait de quelques médias de niches. La presse quotidienne sait se montrer également innovante. Les lecteurs du Temps ont ainsi pu suivre l’immersion d’un journaliste de la rédaction au coeur d’un collège lors de la rentrée scolaire. Le rendu de ce reportage effectué au plus près des gens forme une série hébergé par le site du journal. Sur son blog, le journaliste confie avoir été enthousiasmé par ce projet qui a demandé “du doigté, de la transparence et du respect mutuel“. Il se demande aussi si ce n’est pas dans ce type de travail que se trouve le salut économique de la branche…

L’éthique de la transparence à la place de l’éthique de l’objectivité, donc. Ce nouveau modèle déontologique s’affranchit facilement des critiques adressées auparavant à l’objectivité. il n’est plus question de s’attaquer aux journalistes pour leur reprocher une prétention à vouloir englober une connaissance pleine et entière de la réalité. En quittant la prétention à l’objectivité, les journalistes redeviennent des êtres humains, dotés de convictions, qui appréhendent la réalité avec leur subjectivité. Reste encore à renouer la confiance avec les lecteurs. Établir un nouveau pacte. Quelque chose comme : “Faites-nous confiance, voici nos outils, voici le cadre éthique accompagnant  notre travail, nous allons essayer de vous rendre compte honnêtement de la réalité.”

Au travail !

Billet initialement sur Chacaille ; premier volet de sa série “Les nouveaux nouveaux chiens de garde”

Images CC Flickr hynkle et workflo

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La pub n’est pas à côté du journal http://owni.fr/2010/08/26/la-pub-n%e2%80%99est-pas-a-cote-du-journal/ http://owni.fr/2010/08/26/la-pub-n%e2%80%99est-pas-a-cote-du-journal/#comments Thu, 26 Aug 2010 08:44:42 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=16966

À droite, de la publicité. À gauche, du rédactionnel. À moins que ce ne soit l'inverse.

Quelle est la place de la publicité dans le dispositif éditorial ? Telle était la question soulevée par l’exposé d’Alexie Geers, doctorante à Paris 10, consacré à l’observation des effets de rapprochement des pubs et des contenus éditoriaux dans la presse féminine, dans le cadre du séminaire “Mythes, images monstres” (INHA, 27/05/2010).

Évoquant une « confusion organisée », Alexie a montré de façon convaincante comment, dans un environnement qui favorise l’interaction entre les messages publicitaires et le rédactionnel, la mise en page des journaux comme Elle ou Marie-Claire, grâce à des effets d’écho ou de glissement visuel (voir ci-contre), produit une homogénéisation croissante des deux univers. Nettement perceptible depuis 2005, cette tendance serait encouragée par l’usage des banques d’images, la possibilité d’interrogation par mots-clés et l’indexation de notions comme la dominante de couleur d’une photo (lire également : “Manipuler l’image de presse?“).

Une telle observation interroge la césure la plus fondamentale du monde de la presse, dont l’essor grand public est historiquement lié à l’intégration des ressources publicitaires, mais qui maintient avec la force du dogme l’idée de l’indépendance des contenus éditoriaux, indispensable à la légitimité de l’exercice journalistique. Cette césure imaginaire ne s’impose pas seulement à notre usage du produit éditorial, dont la lecture suppose une étanchéité parfaite des différents types de contenus, mais également aux découpages théoriques de la recherche, qui maintient une stricte séparation des genres et ne sait pas analyser conjointement contenus rédactionnels et publicité.

Pourtant, l’unité culturelle des contenus saute aux yeux au moindre déplacement historique ou géographique du point de vue. Il suffit de feuilleter un magazine d’une période un peu éloignée dans le temps pour être frappé par la cohérence graphique et thématique des messages publicitaires avec leur environnement éditorial. De même, n’importe quel voyage à l’étranger nous confronte avec des particularités de l’expression publicitaire dont nous percevons confusément le lien avec la culture locale. En d’autres termes, dès lors que nous appliquons une lecture culturelle aux formes éditoriales, rien ne paraît plus banal que l’homogénéité de leurs produits, qui partagent un même espace et un même public, ont souvent des stratégies semblables et parfois des producteurs communs.

Contradiction avec les discours de légitimation journalistique

Ce constat est en contradiction profonde avec les discours de légitimation journalistique ou les exigences légales, qui postulent l’absolue hétérogénéité de la communication marchande et de la news honnête. En écoutant Alexie, j’en venais à me demander si cette hypocrisie n’était pas l’un des mensonges fondateurs des sociétés développées, l’un de ceux dont la quotidienne répétition nous accoutume aux contorsions mentales réclamées par les contradictions du capitalisme démocratique.

Restituer la vision globale des organes de presse, refuser la fiction d’une diplopie1de la lecture constitue un programme de recherche prometteur, que l’on peut étendre bien au-delà de la presse féminine. Feuilleter un exemplaire du Monde en gardant l’œil ouvert sur l’intégration de la communication dans le rédactionnel est tout aussi révélateur de son positionnement culturel ou de ses choix éditoriaux.

Billet initialement publié sur L’Atelier des icônes, un blog de Culture visuelle ; image CC Flickr joiseyshowaa

À consulter aussi, le blog d’Alexie Geers, L’Appareil des apparences, consacré aux photographies de corps féminin dans la presse féminine.

Culture visuelle est un site développé par 22mars, société éditrice d’OWNI

Article originellement publié le 31 mai, antidaté pour raisons techniques.

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Journaliste, entends le tweet du politique au fond du banc http://owni.fr/2010/07/12/journaliste-entends-le-tweet-du-politique-au-fond-du-banc/ http://owni.fr/2010/07/12/journaliste-entends-le-tweet-du-politique-au-fond-du-banc/#comments Mon, 12 Jul 2010 08:30:51 +0000 Marc Mentré http://owni.fr/?p=21721

Ce 30 juin 2010 à 10h du matin, je lance un exercice avec un groupe de journalistes « papier », qui viennent s’initier au « web ». Une mise en pratique. Auparavant, j’avais expliqué et insisté —entre autres— sur l’importance de Twitter comme source d’information, sur la complémentarité des réseaux sociaux, sur le fait que les sites d’information et les journalistes étaient soumis désormais à une rude concurrence en terme de rapidité et de réactivité… Mais je ne pensais pas qu’un député UMP permettrait d’illustrer à ce point mon propos.

Ce matin du 30 juin, donc le choix de quelques journalistes en formation est de traiter du football français. Leur point de départ : l’audition de Raymond Domenech et Jean-Pierre Escalette devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. A priori, il ne fallait pas attendre grand chose de cette séance, Raymond Domenech ayant obtenu que cette audition, qui devait être initialement retransmise par La Chaîne Parlementaire et Eurosport, se déroule à huis-clos.

Mais nous sommes à l’ère de « l’information Twitter », et un député, Lionel Tardy, féru de nouvelles technologies, a décidé de tweeter en public la rencontre (un extrait de ses tweets ci-dessous et son fil ici) :

J’ignore le règlement de l’Assemblée nationale prévoit dans ce cas de figure, mais en terme d’information que signifie son acte ?

  • c’est la confirmation, qu’une « source » est toujours prête à parler [le fameux "traître" de Patrick Evra], y compris dans lieux présumés secrets. Pour une fois, l’opération de dévoilement est publique ce qui la rend d’autant plus spectaculaire, car c’est rarement le cas. Peut-être faut-il parler sur ce point au passé ; quelques heures plus tard, ce même 30 juin, un autre député UMP, Yannick Favennec, tweetait ce qui se passait lors d’une réunion avec Nicolas Sarkozy. Une annonce qui était reprise comme un fait politique majeur par lemonde.fr ou lefigaro.fr en s’appuyant sur cette seule source, reprise par une dépêche AFP :

  • l’information est « désintermédiatisée ». Lionel Tardy  de « source » et devenu acteur de l’information. On imagine la frustration des journalistes qui étaient à l’entrée de la salle et lisaient sur leur smartphone les tweets du député.
  • l’évolution technologique rend extrêmement facile pour les « amateurs » de produire de l’information et ici je pense en particulier à la qualité des vidéos qu’a prises ce député et qu’il a uploadé sur son FB
  • les sites d’infos à la seule exception du Monde.fr (voir ci-dessous), qui reprendra d’ailleurs l’un des tweets de Lionel Tardy en titre, doivent revoir leurs procédures de veille sur Twitter. En effet, des sites pourtant spécialisés dans le sport (L’Équipe) ou connu pour leur réactivité (20mn, Libé, Nouvel Obs…) sont sur cette info « à la ramasse ». Ils se rattraperont par la suite [en utilisant les tweets de Lionel Tardy comme matière première d'ailleurs], mais seulement par la suite…

  • la question déontologique. Les journalistes avec lesquels je me trouvais se sont immédiatement demandé s’ils auraient repris les tweets du député pour le site de leur journal. Faut-il considérer cette réaction comme old fashion ? Le fait est qu’elle fut unanime parmi les participants à cette formation. Il ne s’agissait pas d’une défiance vis-à-vis de l’outil (Twitter) mais leur réticence tenait au fait que l’auteur des tweets — un député — transgressait la réglementation de l’Assemblée nationale, le lieu où l’on fait les lois. Question ouverte donc : faut-il se ranger à l’avis de Jean-Jacques Bourdin, de RMC,  qui, sur son blog, titre « laisser tweeter Tardy » ? La discussion se poursuit en tout cas sur  #laisseztweetertardy.
  • la qualité de l’information. C’est le problème de la source unique. Ce n’est guère un souci dans le cas qui nous occupe, mais si ce procédé [un acteur tweete d'un lieu présumé clos] se généralise, la question de la manipulation de l’information se posera inévitablement.

Billet initialement publié sur Mediatrend sous le titre Lionel Tardy, député : « Je suis le traître qui twitte et je l’assume »

Image CC Flickr Steve Rhodes

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