OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les nouveaux métiers du journalisme http://owni.fr/2010/03/09/les-nouveaux-metiers-du-journalisme/ http://owni.fr/2010/03/09/les-nouveaux-metiers-du-journalisme/#comments Tue, 09 Mar 2010 10:48:53 +0000 Nicolas Marronnier http://owni.fr/?p=9712 4317536426_64b9df34d8

Titre original :

Au Social Media Club, les nouveaux métiers du journalisme

Un débat public organisé par le Social Media Club sur les nouveaux métiers du journalisme en ligne s’est déroulée le 17 février 2010, à La Cantine, à Paris. Animé par Julien Jacob, il a suivi le format classique du Social Media Club France, à savoir une prise de parole d’environ 15 minutes pour chaque intervenant suivie d’une série de questions/réponses. Résumé de chaque intervention rédigé par le Social Media Club.

Le journalisme crowdsourceur

Jean-Luc Martin-Lagardette, journaliste pour le webzine Ouvertures, a évoqué pour nous l’expérience qu’il a menée avec le site Agoravox.

L’objectif général de sa démarche était de tenir compte de la participation du public dans l’élaboration de l’information. Cet objectif s’est traduit par la tenue d’une série d’ « enquêtes participatives », menées à l’aide de la communauté d’internautes voulant bien témoigner et contribuer à une réflexion autour d’une thématique bien précise.

Jean-Luc a évoqué la première de ces enquêtes (été 2007), qui fût sans conteste la plus enrichissante, concernant un sujet d’actualité déjà assez largement traité et qui faisait à l’époque déjà polémique sur le site : l’obligation vaccinale. Rebondissant sur un fait d’actualité (en mars 2007 une loi est passée qui durcissait les sanctions contre les réfractaires vaccinaux), il a tout d’abord écrit un premier article commentant ce projet de loi en invitant les internautes à réagir : ce durcissement était-il selon eux justifiée ?

Les commentaires n’ont pas tardé à affluer (600 contributions à date) et l’enquête fait aujourd’hui pas moins de 70 pages, épais dossier librement accessible sur le site d’Agoravox qui a donné lieu à presque 70 000 téléchargements !

La vraie richesse de cette démarche, selon Jean-Luc Martin-Lagardette, a été la réelle diversité des sources et des angles. Sur internet, les contributeurs étant tous sur un pied d’égalité, la distanciation se trouve en effet maximisée entre le journaliste et ses sources, le professionnel s’en tenant à l’information brute, au contenu, sans a priori sur celui-ci.

On peut donc entrevoir avec ce type de démarche une certaine « neutralisation » de l’avis du journaliste qui, face au grand nombre de contributions et d’avis contradictoires, a plutôt un travail de synthèse à effectuer.

Bien sûr, au fur et à mesure de la remontée des informations, Jean-Luc a mené un vrai travail d’investigation en procédant à des vérifications, à des interviews de personnes compétentes (scientifiques, responsables administratifs, associatifs), comme cela se fait dans toute enquête journalistique.

Mais le journaliste a tenu à souligner à quel point sa démarche se différenciait d’une investigation classique, la singularité de cette enquête résidant dans sa longue durée (3 mois) et dans l’utilisation de la puissance de l’outil internet en matière de mobilisation des sources.

Jean-Luc nous a en outre fait part de son regret à propos du faible relais opéré par les médias traditionnels concernant les résultats de son enquête, écho qui aurait pu permettre de lancer un réel débat sur la scène publique, d’avoir un véritable impact politique.

Enfin, il a souligné le fait qu’il lui a manqué un réel outil de gestion des contributions (documents, mails, commentaires…) pour faire face à leur nombre important et à leur diversité.

Le journalisme de données

Augustin Scalbert a pris la parole à ce sujet. Journaliste pour Rue89, il a pris ici la parole en tant qu’acteur de la campagne Libertés d’informer lancée entre autre avec ses confrères Luc Hermann et Paul Moreira. Cette campagne vise à promouvoir le vote d’une loi en faveur d’un accès plus libre à l’information en France. Concrètement, le collectif milite pour offrir aux citoyens un mécanisme de contre-pouvoir par le biais d’un accès libre aux données administratives, dans une logique de transparence.

Augustin a souligné le fait que la France est un des pays occidentaux les moins transparents en matière de mise à disposition de documents administratifs. Aux Etats-Unis, le Freedom of Information Act datant de 1966 garantit cette transparence. Le site Wiki Leaks s’est fait le spécialiste de la publication de données confidentielles outre atlantique, concernant la santé publique, le droit, ou les dépenses gouvernementales… C’est à lui que l’on doit par exemple la récente révélation du traité international ACTA qui fait craindre un filtrage généralisé du net sans passer par une autorité judiciaire.

En France, une loi de 1978 a bien donné naissance à la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) mais celle-ci ne disposant pas d’un pouvoir d’injonction voit la moitié de ses demandes d’accès à des données sensibles tout bonnement refusée. Augustin donne comme exemples l’affaire Borel (décès suspect d’un magistrat à Djibouti), la violente répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 ou encore les retombées de la catastrophe de Tchernobyl en France comme autant de dossiers aux nombreuses zones d’ombre qu’un libre accès aux documents officiels aurait pu permettre d’éclaircir.

La CADA reste donc utile, pouvant constituer une menace en cas d’une réelle pression citoyenne sur l’administration, mais demeure un outil trop restrictif et finalement peu utilisé.

La pétition lancée par Libertés d’informer regroupe à ce jour 6000 signatures et ne dispose malheureusement que de trop faibles relais politiques. La classe dirigeante ne semble pas réaliser que rétablir un lien de confiance avec ses citoyens passe par le soutien de ce genre d’initiative.

Finalement, ce dont le mouvement Liberté d’informer est le symptôme, c’est que les journalistes et de façon plus générale les citoyens ont soif d’information brute, de données librement accessibles et exploitables, pertinentes et incontestables…

En effet, pour paraphraser Nicolas Vanbremeersch, « dans un monde d’hyper commentaires, on ne peut qu’espérer que les médiateurs de l’information s’emparent des données » pour nous fournir de l’information effective pertinente et ainsi à nouveau exercer leur rôle de contre-pouvoir.

Le journalisme coproducteur

Pierre Haski, cofondateur du site Rue89, est venu nous parler de son expérience d’un nouveau journalisme en ligne.

Il a  abordé le modèle du site en matière de production de l’information. Au départ, Rue89 reposait sur l’idée de « l’info à 3 voix », soit l’association de contributions émanant de journalistes, d’experts et d’internautes produisant de l’information séparément mais en un espace commun.

Cette méthodologie n’a pas été suivie dans les faits, le système ayant vite démontré ses limites du fait du manque de crédibilité des contributeurs amateurs et donc de la nécessité d’une validation journalistique des contenus produits.

Le modèle actuel équivaut donc plutôt à une « mise en musique » des différentes contributions, à un travail commun de production d’information.

Cette coproduction de l’information se matérialise de différentes manières. Par exemple, le site a mis en place un comité de rédaction participatif qui voit les 15 journalistes professionnels connectés en live à une centaine de chatteurs proposant des pistes de réflexion et apportant leur feedback aux idées émises par les journalistes.

Pour couvrir l’évènement au plus près et réagir rapidement aux faits d’actualité, Rue89 bénéficie des nombreux témoignages et remontées d’informations émanant d’internautes (live blogging, système d » « alertes ») et peut ainsi exploiter cette information brute afin de fournir du contenu de qualité sur son site.

Ce travail main dans la main avec la communauté des internautes permet à Rue89 de couvrir un évènement avec une rapidité jusqu’ici jamais atteinte : le site a par exemple été le premier à prendre la mesure de la grève en Guadeloupe. La presse n’en parlait pas, mais Rue89 recevait des messages indiquant des problèmes : ils ont alors mobilisé par email les habitants de l’île figurant dans leur base de données en demandant des témoignages, précieuses sources d’informations à partir desquelles les journalistes du site ont pu rédiger un article fourni sur les évènements.

Pour reprendre l’idée de Jeff Jarvis, à l’heure d’internet, l’information et donc les articles ne sont plus des produits finis mais ce sont des process en perpétuelle évolution. Sur le site, l’auteur d’un article se charge de la modération des commentaires, répond aux remarques émises et met en avant les contributions intéressantes dans une démarche de perpétuel enrichissement de la réflexion. Il arrive de ce fait que sur la base des commentaires, un second article soit rédigé pour affiner l’analyse première.

Là où les sites des journaux traditionnels se contentent d’externaliser le traitement des commentaires à des sociétés tierces, Rue89 effectue donc pour sa part un aller-retour permanent entre fondamentaux du journalisme et gestion du participatif, instaurant ainsi un vrai rapport avec le lecteur.

Le journalisme témoignage d’actualité

Philippe Checinski nous a présenté le site dont il est l’un des fondateurs : CitizenSide.

Il nous a tout d’abord rappelé que 20 000 photos sont envoyées chaque jour sur Facebook et 24h de vidéos chaque minute sur Youtube. L’idée du site est donc partie de ce constat que les internautes sont de plus en plus enclins à poster du contenu en ligne.

Le site se veut donc être une plateforme assurant l’intermédiation entre amateurs et professionnels de l’information. Le service repose sur la mise à disposition de contenu UGC aux médias qui peuvent venir piocher parmi les photos et vidéos d’actualité postées par les internautes. CitizenSide se charge de fixer le prix et de négocier la vente aux médias intéressés.

600 à 1200 photos/vidéos sont reçues chaque jour par le site. Avant toute mise en ligne, l’équipe du site effectue donc un travail de vérification du contenu. C’est là son cœur de métier, nous affirme Philippe. Cette validation repose sur une identification claire de la source (sa fiabilité, ses antécédents) et sur une expertise technique du site.

L’équipe dispose en effet de puissants outils permettant d’extraire des métadonnées de toute photo ou vidéo postée. Ces données renseignent CitizenSide sur la qualité du contenu (photo retouchée ou issue de Facebook, lieu de capture par géolocalisation…) et permettent de valider ou non une contribution.

Le site s’appuie donc sur la volonté des gens de participer à l’actualité et oeuvre ainsi à la crédibilisation du document amateur, trop souvent considéré comme peu fiable.

Le business model de CitizenSide reposait tout d’abord sur le prélèvement d’une commission sur les transactions effectuées sur le site, mais Philippe a aussi évoqué le développement d’une marque blanche vendue aux médias, avec mise à disposition de la technologie et du back-office du site. Le gratuit 20 minutes, BFM TV ou Voici comptent déjà parmi les clients.

Le cofondateur du site nous a également annoncé le lancement imminent de la plateforme EditorSide qui regroupera en un espace unique l’ensemble des contenus disponibles sur CitizenSide mais aussi sur les sites partenaires disposant de la technologie du site.

Enfin, Philippe Checinski a abordé les perspectives offertes par le développement d’applications mobiles et l’usage des techniques de géolocalisation qui en découle. On pourrait imaginer à l’avenir un système d’injonction à la contribution de « city-reporters » (aller prendre une photo ou capturer une séquence vidéo), sorte d’appel à témoins en temps réel, en fonction du lieu où se trouve chacun et des évènements qui s’y déroulent.

Le journalisme en réseau

Alexandre Piquard, journaliste sur LePost, est venu clore cette session par son témoignage.

Il nous a présenté le modèle du site, à la fois hébergeur et éditeur de contenu.

LePost rassemble en effet à la fois des contributions d’internautes (40 000 membres), des posts de blogueurs invités (30 experts) et des articles émanant de la rédaction (6 journalistes spécialisés). Chaque jour, une centaine d’articles passe en Une du site, issus de ces trois sources, et 6000 commentaires sont postés. D’où la notion de « journalisme en réseau », concept basé sur l’idée d’écosystème médiatique où différents acteurs enrichissent une même plateforme par des informations complémentaires.

La gestion de ce flux incessant d’informations est opérée par l’équipe de rédaction. Différents labels existent pour qualifier l’information et ainsi mettre en avant telle ou telle contribution. Le label « info brute » correspond aux apports des internautes non encore validés par les professionnels. Ce type d’information ne peut se retrouver en Une, au contraire des articles « info vérifiée » qui jouissent d’une visibilité accrue, au même titre que les articles des journalistes et blogueurs (« info rédaction » et « info invités »).

Faire du journalisme en réseau c’est aussi ne pas hésiter à se projeter hors de sa plateforme, insiste Alexandre. LePost se veut ainsi ouvert au microblogging produit sur les réseaux sociaux et relaie ponctuellement des « live twits » sur sa Une, en témoigne la récente couverture des débats sur la Loppsi à l’Assemblée. En outre, le site n’hésite pas à relayer du contenu issu d’autres médias et à renvoyer vers leurs sites en mettant en pratique le « journalisme de liens » cher à l’Américain Scott Karp.

Retrouvez l’actualité du Social Media Club France sur son blog : http://www.socialmediaclub.fr
Et rejoignez la communauté sur Viadeo pour échanger avec les membres autour de nos problématiques.

> Article initialement publié sur Rue89

> Illustration par Doing Media Studies sur Flickr

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http://owni.fr/2010/03/09/les-nouveaux-metiers-du-journalisme/feed/ 1
En politique et dans certains médias, la fracture numérique est toujours là http://owni.fr/2009/09/15/en-politique-et-dans-certains-medias-la-fracture-numerique-est-toujours-la/ http://owni.fr/2009/09/15/en-politique-et-dans-certains-medias-la-fracture-numerique-est-toujours-la/#comments Tue, 15 Sep 2009 13:38:41 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=3606 A l’occasion de discussions en marge de l’université d’été de l’UMP, un journaliste reporter d’image de Public Sénat a filmé une rencontre publique entre Jean-François Copé, Brice Hortefeux et des militants. Un jeune militant, Amine Benalia-Brouch, a demandé s’il pouvait être prise en photo entre les deux politiciens, ce qu’ils ont accepté.

Les discussions autour de ce moment et les paroles du Ministre de l’Intérieur et très proche ami du Président Brice Hortefeux ont été filmées, puis mises en ligne par Le Monde et relayées par Lemonde.fr en raison de la nature plus qu’équivoque des propos du Ministre de l’Intérieur.

Laissons de côté l’aspect politique des choses. Les réactions des rédactions, des médias et des commentateurs politiques ont montré un profond fossé dans la compréhension du monde. Internet n’est pas un monde virtuel à part, il est le prolongement de notre monde réel, avec quelques particularités. On y trouve donc les mêmes personnes.

Rappel des faits : la vidéo qui a déclenché la polémique a été mise en ligne jeudi 10 septembre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Notons qu’elle est clairement identifiée comme mise en ligne par Le Monde : le texte est explicite, le compte est celui du monde.fr, un masque translucide indique LeMonde.fr. Autrement dit, ce n’est pas un illustre inconnu qui met la vidéo en ligne mais une rédaction, qui effectue un travail journalistique : vérification des sources, recoupement… Ce qui ne l’oblige bien évidemment pas à révéler ses sources, c’est même un des privilèges de la fonction de journaliste.

La ligne de défense du Ministre de l’Intérieur, également Ministre des cultes, et qui constituait à dire que ses propos sortis de leur contexte étaient mal interprétés, tiendra peu de temps. Elle ne permettra que de temporiser : soit l’affaire s’éteint parce qu’il n’y a pas à revenir sur une histoire “sortie de son contexte” et montée de toute pièce, soit les journalistes s’acharnent à faire mentir le Ministre (une stratégie à double tranchant comme le fait remarquer Versac), en particulier avec la vidéo d’origine sur laquelle on peut rendre le son plus audible et surtout étendre la séquence pour qu’il n’y ait pas de contestation sur le contexte. C’est la seconde option qui s’est réalisée, et finalement il fallait s’y attendre.

La vidéo en question dans son intégralité telle que l’a diffusée le 11 septembre 2009 au soir par Public Sénat.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des médias traditionnels en retard

Les hésitations des médias traditionnels à diffuser les images (lire à ce sujet les atermoiements de Gilles Leclerc pour Public Sénat, sommé de s’expliquer par la SDJ) voire simplement mentionner la polémique qui enflait déjà (Jean-Pierre Pernault, que le médiateur de TF1 Jean-Marc Pillas a promis d’interroger) ne sont pas très claires mais elles montrent un décalage et une inadéquation de certains journalistes avec l’information à l’heure du temps réel comme le notait Versac.

Pour certains journalistes, la grand messe du JT vespéral ne vient qu’entériner des informations déjà divulguées par d’autres médias : surtout, ne pas prendre de risques ni de coups. La presse ne s’est pas montrée toujours meilleure, de nombreux quotidiens n’ayant réagi dans leurs éditos… que le samedi 12 septembre (quelques extraits recensés par le Nouvelobs.fr)

Sur Internet, il n’y a pas de médias ?

Les déclarations de Dominique Wolton à l’antenne de RTL le 11 septembre sont plus étonnantes encore : d’un côté un espace pas vérifié, par légitimé, qui est Internet, de l’autre un espace légitime, qui est les médias. Ceci est lamentable et indigne d’une personne qui affiche clairement ses propres citation sur son site web, notamment Opposer les anciens et les nouveaux médias est une problématique dépassée ; il faut les penser ensemble, et qui par ailleurs est :
- membre du Conseil d’administration du groupe France Télévisions et de France 2 (a priori il sait ce qu’est un média et un journaliste)
- Directeur de recherche au CNRS (normalement c’est un gage de sérieux)
- Président le Comité d’éthique du Bureau de vérification de la publicité
- Directeur de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS (qui a dû oublier qu’Internet existe).

La retranscription des propos tenus sur RTL est en ligne chez Benoît Delmas.

Pareille idiotie ne manqua pas de faire réagir Pierre Haski, qui rappelle qu’il est journaliste sur Internet et qui voit là une forme de lâcheté de certains journalistes qui préfèrent coller la faute sur Internet plutôt que sortir une vidéo. Accuser le moyen de transmission, cela revient à dire que si la radio se permet de critiquer, c’est de la faute des ondes.

Le coupable, c’est Internet !

Comme le pressentait dès le 10 septembre Guy Birenbaum dans C’est pas très net sur Europe 1 : En France, lorsqu’un puissant commet un faux pas, ce n’est pas lui qui paye les pots cassés, c’est le messager ou le média qui a osé divulguer et amplifier son propos, en l’occurrence Internet. Il faut comprendre ici que le messager est Le Monde, et le média pris au sens de moyen de communication et mode de transmission de l’information est Internet.

Ce véritable travail se sape concernant Internet ne date pas d’hier dans les médias broadcast,comme le note 3615 Mavie qui a recensé des vidéos effarantes extraites de journaux télévisés qui accusaient la toile des pires maux. Cette diabolisation se poursuit encore aujourd’hui : que l’on songe à la vidéo commandée par Nadine Morano sur les dangers d’Internet truffée d’amalgames douteux, au reportage partisan d’Envoyé Spécial sur Facebook ou aux déclarations édifiantes d’un Frédéric Lefèvre pendant le débat sur Hadopi I.

La première erreur de base c’est de présenter Internet comme un tout foisonnant et brouillon (un tout-à-l’égout pour Denis Olivennes) duquel sortirait de temps en temps des morceaux peu ragoûtants. Comme le rappelle avec humour Michaelski : ce sont bien les médias qui lancent des scoops et des images volées de politiciens, de Ségolène Royal à Manuel Valls en passant par Patrick Devedjian et Nicolas Sarkozy lui-même.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un rapport ambigu du politique au net : la fracture numérique est toujours là

Au fond, il y a une dichotomie profonde dans le discours des politiciens, comme l’indique Renaud Revel qui rappelle qu’en cela Brice Hortefeux est à bonne école avec son ami d’enfance Nicolas Sarkozy pour qui un ordinateur sert uniquement à écrire.

D’un coté la toile est considérée comme un formidable média complémentaire qui n’est pas pris en compte par ce CSA dans le décompte du temps de parole, ce qui est bien pratique car une vidéo ou un site qui “tourne” c’est autant de propagande politique gratuite et sans contrôle quand le buzz va dans le bon sens. Il n’y a qu’à voir la légitime admiration des politiciens français quant à la campagne de Barack Obamma, largement appuyée par les réseaux sociaux et le web sur lesquels les militants étaient invités à s’impliquer, et les ambitions des différents partis pour imiter ce principe. Pensons par exemple aux Créateurs des possibles pour l’UMP et à la CooPol pour le PS.

De l’autre, Internet est le mal incarné, l’œil qui espionne et qui lynche en place publique dès qu’il le peut, le lieu de toutes les bassesses et des rumeurs les plus folles. Comme le note Amaury de Rochegonde sur France Info, il est certain que les équipes de communication des personnalités politiques doivent s’en prendre à elles-mêmes : à trop vouloir user du levier de la mise en scène, ce n’est qu’un retour de flamme du “tout transparent” dont les citoyens se sont emparés grâce aux nouveaux outils de diffusion et de partage dont ils disposent.

A trop vouloir exhiber leurs moments de vie privée, leurs loisirs et leurs passions dans les émissions de divertissement pour s’attirer la sympathie des électeurs en montrant que ce sont des gens comme tout le monde, les professionnels de la politique ont pris un risque sans penser qu’il serait difficile de faire marche arrière. Ce n’est pas seulement une désacralisation de la politique qui est à l’œuvre, c’est le culte du je me présente tout entier et nu devant votre jugement que les Etats-Unis connaissent si bien qui prend forme dans l’Hexagone.

Une instrumentalisation à sens unique

Cette tendance à distinguer Internet du monde réel, doublée de l’envie d’instaurer des règles et valeurs à deux niveau avec d’un côté les braves citoyens, de l’autre les méchants internautes, est une tendance de fond comme le notait un avocat sur Ecrans. Mais ces citoyens et ces internautes, ce sont les mêmes personnes ! Il y a plus de 30 millions d’internautes en France.

Ce sont les mêmes qui moquent les politiques sur Internet et les mêmes qui se sont déplacées en masse lors des élections présidentielles de 2007. Ce sont les mêmes qui achètent en ligne et qui piratent. Ce sont les mêmes qui critiquent les médias (ce qui signifie qu’ils les consultent, ne serait-ce que pour savoir de quoi parler) et qui souhaitent que ceux-ci s’améliorent. Traiter avec mépris Internet, c’est mépriser des citoyens qui discutent, consomment, s’informent et partagent en ligne. Et qui votent.

Des pièges ? Non, du « off » qui devient « on »

Internet ne piège pas les politiques, comme on l’a trop souvent dit ou écrit. D’abord parce qu’Internet n’existe pas en tant qu’entité. Dans l’affaire Hortefeux il s’agissait de journalistes, dans d’autres cas c’étaient des passants ou des militants, des gens bien réels et pas des fantômes évanescents.

De plus, les personnalités politiques ne sont pas piégées dans ce sens où il n’y a pas manœuvre, manipulation, trahison. Elles sont simplement prises sur le vif, dans une situation où le discours n’est pas aussi policé et maîtrisé que dans le cadre des traditionnelles interviews ou prises de paroles en public. Les progrès de l’électronique et les outils de partage existant en ligne, les professionnels de la politique doivent savoir qu’aujourd’hui le off n’existe plus. Ce n’est pas la première fois qu’un imprudent se fait prendre, ce ne sera pas la dernière. La leçon que certains ont payée cher n’a pas profité aux petits camarades.

La boucle est bouclée : il faut qu’Internet la boucle

La réaction ce matin dans les 4 Vérités de Jean-François Copé, l’autre personnalité politique présente dans la vidéo incriminée, n’est pas à son honneur non plus. En substance : J’ai pensé à ceux qui font votre métier, ceux qui sont preneur de son, cameraman, reporter… qui font des vrais reportages… Là, on a été sur autre chose. Il s’agissait pourtant bien de journalistes : autant savoir de quoi on parle quand on aborde un sujet aussi brûlant de l’actualité. Et d’ajouter Il faudra un jour ou l’autre que l’on assume un débat public sur Internet et la liberté. Avec Hadopi II, c’est pourtant bien déjà de cela qu’il était question.

Rappelons qu’il fut dans le gouvernement de Dominique de Villepin le champion de la transparence dans la gestion publique avec ses 100 audits lorsqu’il était Ministre du Budget et de la Modernisation de l’Etat (il lança alors une vague importante de modernisation de l’administration publique avec Adèle, la télédéclaration fiscale, les plateformes de marché public sur Internet…) et qu’il se vantait sans rire d’arrêter la langue de bois.

Petit manuel à l’usage de ceux qui embrassent ou veulent embrasser une carrière politique

1 – Internet n’est pas un monde à part, c’est un monde construit par des gens bien réels. C’est aussi un monde plus rapide. Derrière un internaute, il y a un citoyen.

2 – Internet est un moyen de communication au même titre que le papier et les ondes. Le saviez-vous, il y a des journalistes sur Internet !

3 – Internet n’est pas un outil dont on se sert de manière verticale pour communiquer de haut en bas : la base réagit, et bien plus fort que le sommet. Il sera difficile de museler la toile dans un pays ouvert. En Chine, en Iran, en Corée du Nord, c’est une autre histoire.

4 – En politique, le off n’existe plus car la communication politique a trop joué avec les mises en scènes de la vie privée et des moments intimes. Désormais, vous êtes sous l’œil permanent des citoyens que vous avez voulu draguer à tout prix.

5 – Faute avouée à moitié pardonnée : nier quand les faits accablent, ça ne prend que si on a des moyens de coercitions conséquents pour étouffer les choses. Si Hortefeux avait dit que c’était une mauvaise plaisanterie ou qu’il regrettait des propos ambivalents, peut-être n’aurait-il pas eu droit à un tel tollé. Peut-être, mais ses antécédents ont parlé contre lui.

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