La fin du Web

Le Web fut une plaie. Les temps changent, et bientôt l’influence du navigateur, du site web auront décliné de la surface du réseau. Voilà l’histoire presque contemporaine que nous allons essayer de relater dans ce feuilleton journalistique.

Episode 1

Le Web fut une plaie. Les temps changent, et bientôt l’influence du navigateur, du site web auront décliné de la surface du réseau. Voilà l’histoire presque contemporaine que nous allons essayer de relater dans ce feuilleton journalistique. Pour tenter d’en comprendre un peu en avance les implications économiques.

La détonation de l’explosion annoncée (lire ici et là) du Web 2.0, celui qui a vu fleurir des sites comme YouTube ou Facebook, va aussi emporter le Web tout entier. Pour voir surgir un nouveau paradigme, plus complexe encore à appréhender, mais dont on devine les contours déjà, avec l’émergence de comportements inédits dans l’univers numérique. L’AppStore, Twitter, la synchronisation des données, le jeux en ligne, sont les prémices de ce nouvel âge, que l’on pourrait nommer “Digital-me”.
Depuis la fin des années 90, le réseau des réseaux s’est conjugué essentiellement à l’aide du “WWW”, ces trois initiales placées au début de chaque adresse d’un site internet. Le World Wide Web était devenu pour le grande public le symbole même de ce qu’était Internet. Et le navigateur, Netscape tout d’abord, puis Internet Explorer, et maintenant Firefox, Chrome, Opera, ou Safari, s’était installé comme la fenêtre idéale, le transcodeur zélé, bref, la matrice indispensable pour profiter de l’Internet. Or, depuis quelques mois, cette suprématie du couple WWW/navigateur s’est vue brutalement concurrencée par de nouvelles pratiques. A tel point que l’on peut pressentir combien désormais le numérique s’oriente vers la fin du Web.

Bannissement des Start-up

Et il ne serait pas vraiment bienvenu de regretter ou encore de pleurer le Web, car celui-ci a été en grande partie un fléau pour les industriels et les nouveaux explorateurs en tout genre. En fin de compte, l’on doit au Web deux bulles financières successives. Une qui éclata en 2001 et une autre qui montre des signes inquiétants de surchauffe.
Car l’une des caractéristiques marquantes du Web a toujours été le manque absolu de monétisation des sites. Le champ de ruines est immense, et s’étend à perte de vue si l’on regarde bien, et d’ailleurs, le massacre continue. A tel point que la dénomination de start-up, des années 2000, a définitivement était bannie pour ne pas rappeler trop de mauvais souvenirs. Les plus grands s’y sont laissés prendre. Certains, comme Vivendi, ou Bertelsmann et, bien sûr, Time Warner ont failli être emportés, et ne furent sauvés qu’au prix d’une rude restructuration des actifs. Autrement dit, tout ce qui était de près ou de loin apparenté au Web fut vendu, voire bradé. La liste des belles idées jetées par-dessus bord serait d’ailleurs trop longue, et rappellerait bien des mauvais souvenirs.
Ce ne sont pas quelques réussites brandies comme des étendards sacrés qui changeront quoi que ce soit. Pour un Google, combien en effet de sociétés mort-nées, réduites en poussières, et d’argent dilapidé ? Pis, une fois Google arrivé, tous les autres cadors de la catégorie n’ont eu que leurs yeux pour pleurer, ce qui signifie voir le cours de bourse plonger et prier pour une reprise à bas prix, au poids du serveur. Bref le Web fut un massacre de concepts innovants, d’idées enthousiasmantes…

La marque du W

Pour être encore plus clair, la nouvelle économie, celle du virtuel, qui déchaîne les passions parce qu’elle fait les fortunes comme d’autres plantes les “business model”, s’est en grande partie construite sur deux piliers : la piraterie et l’accès à ces ressources illicites. Avec comme principaux bénéficiaires, pour tout dire, comme unique profiteur de ce marché noir, les opérateurs de télécommunication. Et par extension, tous les métiers de cablage, serveurs, et fabrications d’ordinateurs. Mais à la source de tout ça, du haut-débit, de l’Adsl, des fortunes faites par ses entrepreneurs malins, comme Xavier Niel, le patron de Free, il y a toujours un même service, pour lesquels les gens ont été prêts à payer instantanément : l’échange en tout genre de fichiers gratuitement. Aujourd’hui, ce paradigme de l’offre s’est déplacé, le P2P, le téléchargement n’est plus autant à la mode, il a été remplacé par le diffusion en streaming gratuite. Les audiences sont flagrantes. En France Dailymotion, YouTube et Deezer sont dix fois plus fréquentés que les sites P2P.
Malheureusement, cet appétit pour les sites du Web 2.0, ceux de la diffusion et de l’échange gratuit, a fait revenir comme une ombre maléfique, ce “W”. Et avec lui, son cortège de catastrophes en tout genre. Comme nous l’avons largement expliqué (ici et là), ces sites n’ont pas les rentrées d’argent que leurs audiences mériteraient. Pis, elles n’ont peut-être pas les actionnaires qui conviendraient…
Tout cela touche heureusement à sa fin. Car survient un nouveau type d’objets numériques, dont les qualités sont justement de compenser les tares des précédents.

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Episode 2


Résumé de l’épisode précédent. Le Web tel que nous le connaissons dans sa forme la plus répandue n’a été que le tombeau des ambitieux. Fort heureusement, tout change. Le réseau est en pleine mutation, et le couple URL/navigateur est tout proche enfin de marquer le pas, dépassé par des idées plus en avance, plus rentables aussi peut-être.

Le décor planté, avançons sûrement sur les traces de ces nouveaux objets virtuels. Pour donner une idée simple et concrète de cette mutation des paradigmes du virtuel, il suffit de se pencher sur l’utilisation ordinaire d’un appareil mobile de type iPhone. L’accès à des services en ligne, soit la consommation des “data”, ne se fait désormais plus en majorité par le navigateur, qui s’avère peu évident, voire encombrant, mais via des “applicatifs” spécifiques connectés au réseau. Pour les puristes, disons le tout de suite, c’est la fin du surf. Glisser d’un site à un autre, par un lien judicieusement placé devrait devenir une pratique moins courante, voire complètement dépassée. L’accès à un site n’étant plus seulement une question de “lien hypertexte” mais plutôt le fruit d’un processus de recommandations sociales ou affinitaires – nous expliquerons un peu plus loin ce que cela signifie dans l’univers du “Digital-Me”.

Twitter, à suivre

En cela, les sites comme Facebook, ou surtout Del.icio.us ont été des pionniers, qui ont su parfaitement déblayer le terrain, certes, et permis l’installation de quelques fondations nécessaires à ces nouveaux comportements. Néanmoins, le passage au “Digital-me” implique la prise du pouvoir par de nouveaux outils, comme Twitter, par exemple, ou encore la version mobile de Facebook, ou d’autres, basés sur la géo-localisation. On penchera toutefois en faveur de la plate-forme de micro-blogging. Elle est sans doute bien plus à même de réorganiser à son profit ce nouvel espace, où le surf disparaît pour laisser place au “picorage”.
Twitter présente en effet l’intérêt indéniable pour le sujet qui nous intéresse d’être un service plus efficace en tant qu’applicatif que dans sa version Web. Ce qui n’est pas encore le cas de Facebook, dont les raffinements du site n’ont pas encore vraiment d’équivalents sur Facebook mobile. Sans parler des autres outils du Web 2.0, tels que Dailymotion ou YouTube, qui tardent encore à saisir l’opportunité du “Digital-me”. Aujourd’hui, l’application YouTube sur iPhone n’est qu’un bon “reader”, incapable de laisser l’utilisateur gérer son compte. Cela pourrait toutefois changer bientôt, avec la prochaine version sur iPhone OS 3.0, dont la vidéo sous toutes ses formes sera un atout. Sans oublier les travaux de Google sur son système d’exploitation Android, qui met en avant justement les fonctionnalités de partage du site de vidéo.
Nous n’allons pas énumérer toutes les applications qui sont nées sur l’AppStore et qui dès maintenant proposent sous un mode “presse bouton” une consommation nouvelle du réseau. Sauf à dire que leur généralisation sur ces plates-formes mobiles connectées fait chaque jour reculer l’importance du navigateur et de son corollaire, le site Web. Et c’est tant mieux.
Dans le Digital-Me en effet, l’important n’est plus d’avoir une fenêtre sur le Web mais de posséder un panel de services bien à soi – mon choix d’applicatifs, et leur manière de les organiser n’appartient qu’à moi, et il est donc différent du votre. A partir de là, le courant s’inverse. L’information – la data – n’est plus organisée dans un mouvement network-centric, mais devient user/device-centric. L’utilisateur ne va plus chercher les informations, elles viennent à lui, et il en prend connaissance via des vecteurs personnifiés – qu’il a choisi en connaissance de cause. Ce paradigme n’est pas une nouveauté. L’idée d’un “Push” informationnel, plutôt que le “Pull” actuel, est né dès les premiers temps du réseau, mais sans vraiment s’incarner dans un service à succès. Désormais, cela semble possible. Et surtout, accessible au grand public, avec, cerise sur le gâteau, son assentiment à payer pour en profiter. Une promesse d’un avenir différent pour les entrepreneurs qui en saisiraient l’opportunité, mais aussi un crève-coeur pour ceux qui voient dans cette évolution une “minitélisation” du Net.

Google inversé

L’inversion des flux pose cependant un certain nombre de problèmes majeurs. Le premier est évidemment la place du moteur de recherche. Dans le Digital-Me, Google n’a plus le rôle central qui est le sien sur le Web. Car, ce dont l’utilisateur est à la recherche, il va non plus aller le trouver sur le Web, mais sur d’autres profils avec lesquels il est relié dans le “Digital-Me” – d’où toute l’importance des processus de recommandations inter-personnels. Google en tant que portail de recherche serait alors voué à disparaître pour être remplacer dans les faits par une simple brique logiciel totalement transparente. C’est aussi ce qui est en train de se passer à une autre échelle pour les navigateurs internet dont le code est désormais au coeur même des systèmes d’exploitation – webkit notamment est un bon exemple.
Autre problème, qu’advient-il de la publicité ? Celle-ci a été la béquille, souvent peu rassurante, d’à peu près tous les sites Web, avec un constat des plus intéressant : la publicité ça ne marche pas ou si peu. Voilà, l’illusion à laquelle les chaînes de télévision et les radios avaient échappé, mais qui malheureusement a heurté le Web de plein fouet, avec une conséquence évidente, la chute des prix des annonces. La place de ces messages commerciaux sur le Digital-Me paraît plus délicate à définir. Dans sa forme, fini les bandeaux agressifs, conçu avec la jugeote d’un communiquant de chez Pampers, la publicité doit apprendre à se faire discrète, mais utile – si possible. Entre deux messages informationnels, les annonceurs ont tout juste le droit à un espace interstitiel pour vanter leur produit, ou plutôt pour retenir l’attention de l’internaute.
Reste maintenant à déterminer sur quelle super-structure de distribution des “data” ce nouveau paradigme va prendre son assise. Le cloud computing devrait évidemment jouer un rôle, mais ce n’est pas suffisant pour englober un phénomène aussi radical que le Digital-Me. Deux piliers sont aussi importants pour comprendre cette mécanique, il s’agit de la synchronisation globale, et l’interopérabilité horizontale. Mais cela sera l’occasion d’une troisième partie.

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Episode 3

Résumé des épisodes précédents. L’auteur pris de vertiges avait accusé le Web d’être un assassin en puissance : exterminateur des inventeurs téméraires, qui à l’épreuve de la gratuité ont subi de trop nombreuses fois la défaite. Péché de jeunesses, car bien vite, la réalité d’une nouvelle forme du virtuel était identifiée dans l’épisode suivant. Baptisé “Digital-Me”, ce paradigme inédit, ancré dans une consommation mobile ou à partir d’applicatifs des ressources du réseau, méritait quelques explications supplémentaires – le lecteur ayant été abandonné attaché à un monolithe double : la synchronisation globale et l’interopérabilité horizontale.

Le présent de l’internet, c’est le “Digital-Me”. Il convient maintenant de déterminer les structures qui le soutiennent. Ce qui saute en premier aux yeux, c’est la mise en place progressive de vecteurs de communication puissants. Ce sont eux qui vont nous permettre de donner une idée simple et évidente de ce nouveau territoire virtuel.
Le premier d’entre eux est la synchronisation globale, ou complexe virtuel du bernard l’hermite. Il s’agit ni plus ni moins qu’une approche multi-locale des données. Elle permet de se trouver partout chez soi – comme un bernard l’hermite qui trouve une coquille et chaque fois en fait sa maison -, dès qu’on se connecte à un réseau. On retrouve ainsi, les indispensables de son existence virtuelle : adresses, calendrier, signets, mais aussi contacts et mails. La synchronisation globale en est encore à ses balbutiements avec un développement orienté essentiellement vers les tâches de type “professionnel” ou “bureautique”. Bientôt, elle étendra au grand public ses ailes pour mettre à portée de doigts, de clics, voire de voix les bons restos, programmes radios, TV, vidéos préférées, playlists, informations privées, sociales, médicales, l’actualité etc. Google est bien avancé sur ce terrain, la firme de Mountain View a misé sur Android, son système d’exploitation développé sous licence open-source. Tandis qu’Apple ou Microsoft ont évidemment intégré dans leur cahier des charges des services de ce genre – je ne suis pas un spécialiste, mais quel est le potentiel des systèmes libres de type Linux sur ce terrain ?

Network Computer

La synchronisation globale a des traits de caractère communs avec ce que certains avaient prédit à la fin des années 90’ dans la description du concept de “network computer”. Cette vision revient à voir dans le réseau des réseaux le reflet d’un ordinateur mondial, à l’efficacité globale, hyper-distribuée. L’idée maîtresse consiste à déporter les organes essentiels d’un ordinateur de salon, une machine familiale, dans un lieu accessible à travers une connexion avec le réseau. Ainsi, l’accès à un applicatif quelconque se fait par le réseau et non plus par les circuits internes de l’ordinateur sur lequel on travaille. Le logiciel serait littéralement téléporté sur la machine de l’utilisateur. Jusqu’à présent ce type d’applicatif à distance n’a pas encore vraiment trouvé une voie vers la grand public.
Autre exemple, plus intéressant encore, est la machine mise au point par Michael Robertson – certainement le plus honorable des pirates du Web – avec MP3.com. Elle possédait un potentiel certain pour s’inscrire dans la synchronisation globale. Cette fois, il n’était pas question de guichet virtuel pour traitement de texte ou autre, mais de mettre en commun des contenus culturels. Plus de MP3 enregistrés sur son ordinateur, mais l’accès universel – à partir de n’importe quel appareil connecté – à une discothèque. Outre les complications que cela pouvait entraîner avec les métiers concernés, comme producteurs ou éditeurs de musique, MP3.com ne pouvait réussir alors que les terminaisons du réseau, celles qui arrivent dans les foyers, n’étaient pas encore haut-débits, et pis, il était impossible d’en profiter en situation de mobilité, sauf à enregistrer le fichier MP3…
Aujourd’hui, les structures techniques sont là pour que ce pari soit gagnant, mais les intentions ont glissé vers d’autres objectifs. Le “network computer” n’est plus à la mode.

Priorités

L’important n’est plus de déporter sur le réseau les fonctions vitales des ordinateurs mais de rationaliser le plus possible l’accès à des services essentiels, en fonction des terminaux utilisés. Passons par l’épisode 2 de cette saga pour le comprendre. En premier, il y a la fin de l’hégémonie du couple url/navigateur et l’apparition d’interfaces “presse boutons” capable de simplifier et d’objectiver l’accès aux ressources du réseau. D’autre part, l’inversement des flux majoritaires, qui ne sont plus “network-centric”, mais “user-centric”. Ce sont alors tous les aspects de sa propre vie – Me -, autant loisirs que sociaux et professionels qui sont concernés par la synchronisation globale. Dans ce rapport à une existence connectée, possédant le dont d’ubiquité, l’important est alors de déterminer des priorités.
La synchronisation globale peut être en effet passive, ou active. Pour la première, il s’agit de se connecter à un terminal qui est transformé par le truchement d’un login et d’un mot de passe en un ordinateur personnel, identique à celui qu’on a laissé à la maison. La seconde fait entrer en jeu un nouveau concept : la notification. Cette fois, des messages relatifs à la synchronisation de ses données personnelles avertissent l’utilisateur à chaque fois qu’il y a une modification. Le degré acceptable d’alerte peut alors être fixé par l’utilisateurs – le crash d’un avion dans un fil de news aurait par exemple la priorité sur l’anniversaire de la grand tante. L’organisation d’un ordre par priorité sera l’un des problèmes qu’il faudra résoudre, et qui entraînera forcément une concentration des usages. Disons que l’on est abonné à un service de vidéo à la demande, émanation d’un grand groupe de télécommunication. Quelle sera sa place dans ce système d’avertissement, devenu aussi média de communication et de promotion ? Dans lequel l’usager a forcément le dernier mot…
Prochain épisode, l’intéropérabilité horizontale. Promis.

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Episode 4

Le Web était un rhizome, fait de liens s’interconnectant, le Digital-Me est un océan, avec à sa surface des plis et des replis, des vagues pour continuer de filer la métaphore maritime. Pour que tout tienne en place, cette nouvelle matrice a besoin d’un ciment universel, nous l’appellerons l’intéropérabilité horizontale. Il ne s’agit pas d’un standard au sens où l’est le W3C – un ensemble de règles édictées pour la construction des sites internet. L’intéropérabilité horizontale est la nécessité pour les acteurs du Digital-Me d’être compatible entre eux, de s’entendre, bref de bâtir une nouvelle Babel.

“Je” n’existe que dans le rapport à l’autre, dans la manière où l’autre l’envisage. Pour ce nouvel âge du réseau, ce paradigme psychologique s’applique pleinement. La réalité, la satisfaction que l’on tire d’un service n’est fonction que de sa capacité à être le reflet du monde en ligne. Le pionnier du Digital-Me ne choisit pas un service sur ce qu’il lui apporte, mais sur la capacité que ce dernier a de lui permettre d’interagir sur le réseau. Plus ce service est capable d’inter-opérer et plus grande est sa valeur.
Aujourd’hui la force de Facebook tient essentiellement à cet avantage concurrentiel. En étant inscrit sur Facebook, l’internaute a accès à toutes sortes de contenus disponibles sur les autres sites, ou services. Il est possible tout autant d’aller sur YouTube pour sélectionner et visionner une vidéo, mais aussi de la faire partager, que d’aller sur iLike pour écouter de la musique et recommander des titres à ses amis. Tout comme il est possible depuis un simple site Web 2.0, ou même à partir d’une application comme iPhoto de poster une image sur Facebook, sans se poser plus de questions ou entrer dans des complications techniques. Les langages ne sont pas les mêmes et pourtant, ça se parle. Bienvenue dans l’intéropérabilité horizontale ! Les systèmes d’exploitation ont beau être différents, radicalement incompatibles, l’expérience de l’utilisateur plongé dans le Digital-Me ne souffre d’aucune barrière infranchissable, ou presque. L’échange des contenus est à la base de cette symphonie virtuelle.

Finie la logique de la page vue

Cette nouvelle loi de la communication électronique signe la fin des monopoles d’exploitation. Il n’est plus question désormais de se la “jouer perso”. Un service qui serait hors du jeu de l’échange n’a que peu de chance d’exister. L’isolement est fatal dans le Digital-Me. Pis, il serait une erreur stratégique et un pari trop risqué, même pour un acteur aux visées monopolistiques. Il suffit d’observer pour cela les tentatives navrantes des opérateurs de télécommunication dès qu’il s’agit de proposer un contenu comme, par exemple, de la musique. La quasi totalité de ces services ne sont pas ouverts et ne jouent pas le jeu de l’intéropérabilité horizontale, et d’ailleurs n’ont pratiquement pas d’existence dans le monde connecté. Ils ne sont là que par le dopage incessant pratiqué par leurs géniteurs qui dépensent sans compter en communication et promotion. Et cela en pure perte. Un autre indice est par exemple le lent déclin d’un service comme Hotmail de Microsoft, qui n’a pas joué ce jeu de l’intéropérabilité tant qu’il pouvait écraser la concurrence, et a décidé de changer son fusil d’épaule depuis janvier dernier pour éviter de se faire marginaliser. A condition qu’il ne soit pas déjà trop tard pour l’ogre de Redmond…
Cette circulation des contenus sans entrave modifie en profondeur les critères de réussite d’un service. Ainsi, il n’est plus impératif de détenir l’internaute dans son filet le plus longtemps possible en le baladant d’une page à une autre sur son site. La logique de la page vue multipliée au maximum a vécu, dans le Digital-Me l’important est la fidélisation de l’utilisateur avec, comme arme principale de séduction, la possibilité de lui offrir toutes les raisons de partir. Et pourtant, toujours il reviendra. Le paradoxe est là, au creux d’une pratique qui tient plus de la plate-forme de lancement que du Web-toile d’araignée tendu comme un piège pour internaute. L’affinité que l’on développe pour un service agit comme un aimant. On est très loin, encore une fois, de l’essence d’un site Web qui est de se rendre incontournable, au sens propre du terme.

Une vie en accès sur le réseau

Le service estampillé Digital-Me est la forme extérieure de l’identité virtuelle ; la coquille façonnée à coup d’interactions avec les autres internautes. Cette renommée virtuelle est déterminée par autant de facteurs que nécessaire, à condition qu’ils soient lisibles, qu’ils trouvent leur bonne transcription, pourrait-on dire, sur le Net. Les goûts en matière de musique, de cinéma, de livre, ou simplement les choix de vie sont facilement identifiés et exposés sur les sites du Digital-Me, mieux, ces derniers ont été très largement développés dans les premiers temps comme des bases de données personnalisées autour de différentes thématiques. Dans un second temps, le Digital-Me permet de développer une dimension supplémentaire : l’histoire. La renommée virtuelle ne sera plus arrêtée comme saisie dans une photographie, figée, ou suite de photogrammes, mais le récit d’une vie en accès sur le réseau – et c’est d’ailleurs, à partir de cette trajectoire visible que les marqueteurs auront à travailler. La continuité de l’activité en ligne, avec ses particularités, ses aspérités, pourra être désignée comme une ligne de vie virtuelle. Là, il deviendra intéressant de savoir comment cette agitation électronique incarnée enrichit l’existence.
Mais, laissons cela, l’enrichissement sera bien le sujet de l’épisode 5 de cette série, mais elle parlera modèle économique et monétisation dans le Digital-Me. Et le lecteur saura enfin si le meutre symbolique du Web aura sa justification dans l’annonce d’un univers mercantile.

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Episode 5, final

L’argent c’est le nerf de la guerre. Et dans le Digital-Me, il est la contre-partie logique d’un retour en force des besoins à assouvir de l’internaute. Enfin, le Web éliminé, le réseau n’est plus le champ du possible ouvert à toutes les élucubrations pour “geeks”, mais un territoire commercial, ordonné, marketé, où le sens de l’équation “offre vs demande” revient hanter les business plans.

Finie l’errance. Place à la thune. Le Digital-Me est en rupture brutale avec le Web, dès qu’on parle business model. La porte d’entrée était symbolisée, jusque-là, par le fournisseur d’accès. C’est avec les meilleures intentions du monde, et la tournure d’esprit d’un douanier, que ces grands groupes prélèvent l’internaute avant de lui ouvrir les portes du réseau mondial. Derrière ce large portail c’est le règne de la gratuité. On est ainsi dérangé par quelques insectes publicitaires, plus ou moins accrocheurs. L’impression de gratuité qui transpire du réseau est la plus forte, et on entend d’ailleurs énormément de voix expliquer doctement qu’il n’existe pas d’autres voies. Comment pourrait on leur donner tort, lorsque l’on fait une énumération rapide des services proposés ? Tout compte fait, le Web en entier ne vaut pas plus de 30 euros par mois. Avec un inconvénient de taille, si l’on applique une méthode de type licence globale, prélevée sur les factures des FAI pour rémunérer les contenus dématérialisés, les sommes à distribuer seront d’autant plus faibles qu’il y a aura de demandeurs. Bref, le Web, c’est la paupérisation à courte échéance, voire la précarisation des petits au profit d’une nouvelle classe dominante capable d’engranger des audiences et une consommation maximum de ses contenus. Google est là encore pour en apporter la preuve concrète chaque jour.

Tu veux quoi ?

L’âge du Digital-Me rompt avec le principe du portail d’entrée. il est basé sur la multiplication des points d’accès. Et à chaque point correspond un paiement, même minimal, ou presque indolore, mais réaliste. Ce qu’on appelle le micro-paiement est destiné à prendre une place conséquente avec la mutation des usages sur l’Internet. Il est d’ailleurs possible de le rapprocher de cette prophétie de la fin du Web, et le succès de services comme iTunes, qui est un exemple réussi de micro-paiement, face aux échecs des modèles successifs de consommation de musique contre publicité. Reste qu’il faut bien convaincre l’utilisateur de payer…
Là aussi, il y a une des grandes différence entre le Web et le Digital-Me. Il n’est plus question de s’interroger ou de gloser sur le concept proposé par tel ou tel site, mais de répondre à une question primaire : de quoi avez vous besoin ? En échange de quoi il faut payer pour avoir droit d’utiliser le dit service. Cependant la migration reste à effectuer pour la grande majorité des services vedettes du Web. Aujourd’hui, un site comme Facebook propose une version gratuite de son service, y compris sur iPhone, pareil pour Twitter, ou d’autres sites estampillés Web 2.0, pour lesquels le passage au Digital-Me pourrait représenter une bonne part du business model. Et la publicité reste l’unique source de revenus pour des sites qui n’ont pas encore osé franchir le pas. D’autres, comme Deezer, sont plus téméraires, et clament qu’ils vont bientôt sauter le pas en abandonnant la gratuité, notamment sur les mobiles. Toutefois, la peur de se faire souffler le marché par un autre site, dont le positionnement resterait centré sur la gratuité, est encore trop présente.

Abonne-toi mon fils

Très bien, vous avez payé une fois, et bien ne partez pas, ce n’est qu’un début ! Ce glissement du paradigme monnayable vers une accalmie de la relation entre le réseau et sa valeur commerciale, devrait tout aussi bien être l’avénement de l’abonnement. Et oui, quand on aime on ne compte pas, c’est bien connu… En instaurant ce lien de valeur, les services du Digital-Me, essentiellement ceux qui seront disponibles sur les plates-formes mobiles, pourront très bien être payés par échelonnement, mois après mois, ou à chaque nouvelle version. La refonte d’une application ça se paie ! Tout comme un accès à un bouquet de services inégalé par sa qualité ou, plus prosaïquement, totalement incontournable. Comme le préfigure l’arrivée progressive des systèmes de cloud-computing, dans lesquels une ferme de serveurs chauffés à blanc permet un accès à une série de comptoirs informatiques dotés d’applications ou de services accessibles depuis un ordinateur ou un appareil mobile. Microsoft, Apple, Google sont encore présents sur ce terrain, bien conscients de la manne qui s’ouvre à eux en liant durablement le client à des services mondiaux campés sur deux piliers : l’interopérabilité horizontale et la synchronisation globale. Les maîtres des OS ne sont pas les seuls à avancer sur ce terrain. D’autres projets sont dans les tuyaux, si l’on peut dire, pour installer sur le réseau ces super-structures informationnelles. Le P2P est certainement appelé à y tenir une place importante – un projet comme Spotify, par exemple, utilisant ces protocoles, pourrait bien en profiter. Plus largement, les services distribution et de vente de contenus culturels dématérialisés sont les mieux placés pour venir à courte échéance s’installer sur les ondes du Cloud-Computing.

Nouvelle intégration verticale

L’astuce tient en fait dans la délocalisation de l’offre. Avec le Digital-Me, les futurs acteurs forts de l’économie digital renouvelée, seront ceux qui auront réussi à éloigner le client de l’objet de son désir. La musique, les jeux vidéos, la vidéo, mes applications, etc., tout doit être hors de portée, retiré du disque dur de la machine pour être soigneusement entreposé ailleurs. Dans un ailleurs virtuel évidemment, non situé, et pourtant toujours là, accessible à un clic de distance. Voilà un changement de paradigme dont on n’est encore loin d’avoir envisagé toutes les conséquences. D’un point de vue très terre à terre, les fournisseurs d’accès devront faire des progrès importants pour assurer la connexion, car, aujourd’hui, il n’est pas question de bénéficier d’un tel service en dehors des villes. Idem pour les sociétés qui investiront dans le Digital-Me, il faudra certainement encore des dépenses d’infrastructure de serveurs bien plus massives pour soutenir la demande, et garantir la qualité de service, comme l’on dit. Mieux, à bien y réfléchir, ces deux activités ont toutes les chances de fusionner pour se consolider et amortir les coûts d’investissement dans un avenir plus ou moins proche. Ainsi à l’avenir, Apple, Google, ou Sony pourraient très bien s’unir avec un opérateur de télécommunication afin de réaliser une nouvelle sorte d’intégration verticale plus colossale que toutes celles qu’on avait connues jusqu’ici. Cela poserait certainement des problèmes de compatibilité entre ces nouveaux géants des services. Aux autorités d’y mettre de l’ordre à bon escient, bien qu’il y ait fort peu de chance pour que ces nouveaux univers soient hermétiques les uns aux autres. Ils auront en effet tout intérêt à s’entendre sur des tarifs de “roaming data” mondiaux et multi-réseaux. Merci à l’interopérabilité horizontale !
Le moment est venu de conclure cette série. Il n’y était pas tant question que ça de jouer au futurologue, laissons cela aux spécialistes. L’enjeu était plutôt de s’essayer, à un tâtonnement, à l’aveugle, à saisir le présent, le plus actuel. Regardez-vous, que faites-vous, que voulez-vous du réseau là, maintenant, et comment le réalisez-vous ? La réponse tient à ce nouvel âge qui fuit sous nos clics et nos claviers.

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