Elaboration des politiques publiques à l’ère numérique

Le 8 décembre 2009

[...] Questions : comment identifier les enjeux publics et les problèmes qui doivent faire l'objet de décisions politiques ? Comment sont-ils mis sur des agendas politiques et médiatiques par nature saturés ? Quels outils numériques peuvent favoriser la participation des gens à ces processus ?

Billet préalablement publié par Silvère Mercier sur Bibliobsession, le blog d’un bibliothécaire bibliobsédé des bibliothèques :-) sous le titre :

Elaboration des politiques publiques : processus complexes et outils numériques

ScreenShot007J’aime beaucoup ce schéma cité par Thierry Giappiconi qui montre ce que sont les politiques publiques : des actions publiques incarnées dans des dispositifs répondant à des enjeux/problèmes identifiés comme devant recevoir une réponse qui relève de l’intérêt général, dans l’espoir de produire des résultats, des impacts voire des effets sur le champ social.

On perçoit ici la nécessité d’une évaluation qui n’est pas si souvent bien comprise/menée… Les bibliothèques font partie, comme les autres services publics, de tous ces dispositifs.

Questions : comment identifier les enjeux publics et les problèmes qui doivent faire l’objet de décisions politiques ? Comment sont-ils mis sur des agendas politiques et médiatiques par nature saturés ? Quels outils numériques peuvent favoriser la participation des gens à ces processus ?

Si les élus gardent tout leur légitimité pour décider, c’est devenu un cliché : les citoyens sont appelés à participer, à débattre pour le meilleur comme pour le pire. Derrière cet impératif de “participation citoyenne” se cache un ensemble complexe de phases élaboration des politiques publiques et de niveaux de participation que l’on peut relier à des outils numériques.

Alexandre DESROUSSEAUX, Chargé de mission TIC et Collectivités travaille sur ces questions depuis des années au Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais. Il propose le schéma suivant sur le processus du débat public : (cliquez sur ce schéma pour le voir en grand)

ScreenShot008

Vous noterez que bien au delà d’une participation citoyenne abstraite, il faut distinguer pour un débat donné ce qui relève de la problématisation, de la mise à l’agenda, de la diffusion de l’information, de la consolidation des opinions, de la contribution, ou encore de la synthèse, ou de la cartographie des positions, tout ça avant une nécessaire prise de décision politique

Alors quels sont les outils qui correspondent à ces différentes phases du débat public ? Je vous recommande ce diaporama qu’Alexandre DESROUSSEAUX m’a autorisé à diffuser sur slideshare, bravo et merci à lui ! (dispo ici en pdf). Vous y trouverez une très intéressante typologie (avec exemples) d’outils numériques participatifs et leurs usages dans les différentes phases du débat public.

Merci à Loïc Hay pour la trouvaille! Si vous avez peu de temps, je vous recommande de jeter un œil à ce schéma de synthèse en pdf. Brillant! :-)

Les outils numériques c’est bien, mais cela évite-il pour autant l’écueil d’une participation minoritaire qui se fait au nom de l’intérêt général ? Qui est susceptible d’utiliser ce genre d’outils ?

Le seuil de 2/3 des Français (de 11 ans et plus) connectés à Internet a enfin été dépassé. Au-delà du nombre, qui à lui seul rend Internet incontournable en tant que vecteur de communication pour les entreprises ou les institutions, c’est la structure sociodémographique de la population internaute qui attire l’oeil. En effet, Médiamétrie confirme que les internautes français ressemblent en tous points ou presque … aux Français dans leur ensemble. Qu’il s’agisse de l’âge, du lieu d’habitation ou encore du niveau de revenus, il semblerait que la population internaute soit, pour ainsi dire, représentative de la population française dans son ensemble (voir l’édition de mai dernier de l’Observatoire de Médiamétrie pour plus de détails). Les personnes les plus âgées ou les ruraux ont par exemple rattrapé leur retard sur Internet par rapport aux plus jeunes ou aux urbains. Les plus de 55 ans, les femmes ou les catégories socio-professionnelles dites inférieures (CSP-) pèsent approximativement le même poids au sein de la population internaute qu’au sein de la population française dans son ensemble. En d’autres termes, on ne saurait plus opposer à Internet, en tant que vecteur de communication, son incapacité à toucher toutes les catégories de Français qui sont bien présentes sur Internet.

Si la tendance est à l’augmentation du nombre de personnes connectées et de sa représentativité, le point de vue qui précède ne dit rien des usages et de la répartition des compétences nécessaires pour intervenir et être entendu sur le webNarvic a raison de dénoncer le fantasme d’une démocratie du débat universel sur Internet, chiffres à l’appui :

considérer internet comme la voix du peuple, ou même seulement comme un miroir de l’opinion publique, est donc finalement, aujourd’hui, totalement abusif. Internet permet probablement une libération et un élargissement de la prise de parole en public par rapport aux médias traditionnels, mais l’usage qui en est fait reste très modeste.

De fait, la loi des 1% de participants actifs semble un horizon indépassable, par exemple à propos de Wikipédia :

Les deux-tiers des contenus produits proviennent de seulement 1% des utilisateurs actifs. Mais le plus intéressant, c’est de voir comment ce ratio s’inscrit dans la durée, car il ne varie quasiment pas entre 2002 et 2005, alors que le nombre de contributeurs passe de la centaine à la dizaine de milliers. Ce 1% se retrouve par ailleurs dans la proportion d’utilisateurs Yahoo! à créer des Yahoo Group, mais aussi dans le ratio contributeurs/audience d’AgoraVox si je m’en réfère à ces chiffres.

Il faut être clair, ni des outils, ni une démarche participative ne garantissent l’émergence de consensus inattaquables, au mieux servent-il à faire exister un débat, au pire à légitimer des décisions démagogiques…

Pour autant, il me semble qu’il ne faut pas du tout en conclure à l’inutilité des démarches de participation des citoyens à l’élaboration des politiques publiques. Je rejoins complètement Alban Martin qui rappelle sur Readwriteweb avec justesse que cette règle des 1% s’applique tout autant à la démocratie représentative traditionnelle :

Pierre Rosanvallon, professeur au collège de France et auteur de La légitimité démocratique paru en 2008, nous explique que « si l’on considère la fréquence de l’engagement régulier dans de telles instances organisées (comités de quartiers, jurys citoyens, commissions d’enquête etc) on a estimé dans le cas britannique qu’environ 1% des adultes étaient concernés. » C’est à dire qu’un seul pour-cent des citoyens anglais contribue de manière active à la vie publique, au « bénéfice » de 100% de la population. Cette estimation se fonde sur l’étude de Tom Bentley détaillée dans Everyday Democracy paru en 2005. Ce dernier relève également qu’on retrouve à peu près ce même niveau de membres actifs quelque soit les pays où il a mené son étude, exception faite du Brésil qui atteint les 2%.

Conscient que ni la démocratie représentative, ni les plateformes de participation sur internet ne sont capables de dépasser l’engouement d’une minorité proche de 1% du total des citoyens concernés, n’aurait-on pas intérêt à accorder les deux méthodes, plutôt qu’à les opposer sans cesse ? en effet, leurs limites respectives ont la chance d’être complémentaires : imaginez un représentant qui peut compter sur une intelligence collective représentée par 1% de citoyens bénévoles prêt à contribuer à un sujet de société. Ces 1% de citoyens ne seraient bien sûr pas représentatifs (et ce n’est pas ce qui est attendu d’eux, ce rôle étant joué par l’élu qui encadre les échanges et tranche en dernier ressort). Par contre, ils seraient créateurs d’une masse de données et de remontées terrains capables d’éclairer la prise de décision.

Ainsi, l’enjeu démocratique serait-il moins celui des outils ou de la masse de participants que celui de la démarche, de la collecte et de l’usage non pas seulement d’opinions, ou de votes, mais plus largement de données susceptibles d’éclairer des choix politiques…

Si ces questions de e-democratie et de données publiques vous intéressent, je vous renvoie aux articles d’Hubert Guillaud sur InternetActu.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés