Telling story française

Le 11 décembre 2009

Une nation, un groupe humain, se construit sur des histoires, voire des légendes que chacune des personnes qui les compose fait sienne. C'est vrai en Europe depuis 3000 ans. Deux sources principales sont à l'origine de notre telling story : les récits bibliques et les écrits grecques.

Fresque,Monreale, Sicile

Fresque, Monreale, Sicile

Une nation, un groupe humain, se construit sur des histoires,  voire des légendes que chacune des personnes qui les compose fait sienne. C’est vrai en Europe depuis 3000 ans. Deux sources principales sont à l’origine de notre telling story : les récits bibliques et les écrits grecques. Les déclinaisons de ces récits sont innombrables et ont été, parfois suivant des parcours complexes, revisitées par des auteurs ou des collectifs d’auteurs sur le mode oral ou écrit. Vouloir figer dans des règles, des définitions, une identité par “nature” mouvante, revient à stigmatiser et à exclure ceux et celles qui ne se reconnaissent pas intégralement dans ces règles et ses définitions.  C’est aussi se priver d’apports nouveaux vivifiants. Une nation qui se fige, qui cesse de faire évoluer ses représentations symboliques est une nation qui se meurt. Elle est vouée à une disparition rapide.

La révolution française, puis la troisième république dans des soubresauts très douloureux, ont laïcisé la France.

La conscience collective ayant besoin de points de rencontre communs, c’est la nation, le peuple souverain qui a pris la place laissée vacante par le christianisme. Tout cela relève de mouvements historiques et sociologiques fondamentaux mais fréquents dans la marche permanente du monde.

En France, nous vivons dans une légende nationale, largement initiée par les républicains  post-commune de Paris.

Cette légende sépare en deux les temps historiques, l’Ancien Régime et la République.  L’Ancien Régime était lié à l’église, la République l’est à la laïcité, laquelle est devenue une sorte de religion d’état.

Tout cela n’a guère posé de problèmes depuis 1945. De 1870 à 1945, le permanent affrontement entre républicains et nostalgiques de l’Ancien Régime a structuré le débat politique. Les points de conflits les plus durs ont été :

- L’affaire Dreyfus, véritable et durable clivage de la pensée française.

- La guerre d’Espagne, où l’aide à apporter aux républicains espagnols a été le terrain de manoeuvres et de violences entre fascistes de tous poils et démocrates.

- La seconde guerre mondiale où,  pour un temps tragique et abominable, les nostalgiques de l’Ancien Régime se sont alliés au paganisme barbare des nazis.

Depuis 1945 et la défaite du totalitarisme noir, les nostalgiques ont fait profil bas, mais sans totalement disparaître.

L’attention et les luttes politiques se déplacèrent sur une autre ligne de front, démocrates contre staliniens. Cette bagarre là a duré jusqu’au début des années 1990. Le dernier et épouvantable avatar européen de cette période fut la guerre en Yougoslavie.

Notons que pour la France, la guerre d’Algérie fut un autre moment structurant où bon nombre de fronts se renversèrent, où les alliances les plus improbables virent le jour. Restent de cette guerre des plaies toujours douloureuses au sein de la société française :

- Les algériens eurent à choisir entre deux pays. Pour ceux qui résidaient en France ou qui y sont venus, il y a un vrai dilemme à résoudre, cela ne peut se faire en une ou même deux générations.

- Les pieds-noirs se sont trouvés rapatriés en France brutalement et furent souvent mal accueillis.

- Les harkis continuent d’être les parias de deux nations.

- Les activistes pro-Algérie française ont été rejoints par ce qui restait des nostalgiques de la vieille France et de l’Action Française.

La telling story française peut se présenter en quelques moments devenus des archétypes de la symbolique nationale :

- La Commune de Paris

- L’avènement de la  IIIème République, l’école publique

- L’affaire Dreyfus

- Les lois de séparation de l’église et de l’état

- La guerre de 14-18

- 1936

- L’appel du 18 Juin

- La Résistance

- La guerre d’Indochine

- La guerre d’Algérie

- La Vème République

Cette histoire a ces icônes républicaines :

- Jules Vallès, Courbet, Gambetta.

- Jules Ferry

- Zola

- Clémenceau

- Léon Blum

- De Gaule

- Guy Mocquet, Jean Moulin

- Mendès-France …

Ceci vaut pour la face lumineuse de l’histoire, il y a aussi touts les faces noires, sombres, complexes de ces mêmes moments.

Ces archétypes véhiculés par l’instruction publique et les relais de la médiation entretenaient une doxa républicaine de relative bonne conscience et de confort moral et intellectuel rassurant.

Comme tous les archétypes, ils structuraient la pensée collective française. Avec des nuances et des conflits idélogiques. Mais ceux-ci faisaient partie du paysage et tout allait presque bien.

Et puis patatras…  dans une accélaration dont l’histoire a le goût, tout s’est mis en mouvement :

- 1968, les printemps conjugués en Europe de l’ouest et certains pays de l’est (la Tchécoslovaquie en particulier)

- Dénonciation et révélations des monstruosités du Stalinisme (Soljenitsine)

- Les mises au jour d’une réalité confuse en France entre 40 et 45 (Paxton)

- Arrêt brutal de l’idée de croissance sans limite ni entraves (choc pétrolier de 1974, après la guerre du Kippour)

- Idée et  construction européenne

- Implosion du Pacte de Varsovie et de l’URSS

- Révélation de la Chine et de l’Inde.

Il faut rajouter à tout cela la révolution informatique, en particulier celle d’internet dont les effets ne font que commencer à se faire sentir.

Alors, nous sommes en plein dans une période où les couches les plus récentes des archétypes se dissolvent. Ces symboles républicains sont récents, installés sur les champs de ruines des “identités” régionales et provinciales. Ils sont fragiles et demandent à être transcendés probablement dans la fédération européenne.

Mais attention, les plus anciens, les plus ancrés des archétypes peuvent se réactiver sous l’aiguillon redoutable de la peur réelle et instrumentalisée. Ils peuvent ressurgir comme des démons d’une boite oubliée dans un grenier. Ces archétypes-là sont comme des dinosaures dans le paysage social et culturel contemporain. C’est l’histoire de Jurassic Park, comme dit le chaoticien du film : “Cela ne peut pas marcher, le temps ne s’inverse pas, vouloir se substituer au temps et au ” cours naturel” de la vie conduit inéluctablement à des catastrophes.”

Je reparlerai ici, aussi lomptemps que durera les débats formels sur l’identité, de ces questions, en espérant que cela vous conviendra, cher lecteur, comme on disait dans les chroniques aux alentours de 1925.

Dominique nugues

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