[ITW] Alfred Hilsberg : le papy grincheux de la musique allemande

Le 7 octobre 2010

Andreas Richter, du magazine Vice, a rencontré Alfred Hilsberg pour un long entretien au cours duquel l'homme apporte un éclairage intéressant sur l'industrie de la musique, dont il est une figure depuis plusieurs décennies.

Chez OWNImusic on aime bien les gens qui sortent du cadre, ça tombe bien, chez Vice aussi. On ne pouvait donc pas laisser passer l’occasion d’une collaboration : l’interview d’Alfred Hilsberg réalisée par Andreas Richter. Véritable figure de la musique allemande, il n’hésite pas à se dévoiler comme peu le font, tout en dressant un portrait passionnant de l’industrie de la musique.

L’industrie de la musique en Allemagne, comme dans beaucoup d’autres pays, souffre d’une histoire un peu instable. Alfred Hilsberg est parvenu à s’en sortir et est devenu l’un des rares piliers d’une industrie qui expulse les gens sans appel dès lors qu’ils deviennent grisonnants ou que des boutons horribles se parsèment sur leurs mains. En 1979, il a lancé ZickZack, un label qui offrait une plateforme pour les scènes punk, avant-garde et postpunk à Düsseldorf, Berlin et Hambourg, en réponse à l’hystérie punk anglaise. Lors des premières années, Hilsberg a sorti un disque pour chaque artiste tourmenté qui mettait le pied dans son studio (des groupes du style Abwärts, Palais Schaumburg, Die Tödliche Doris, Einstürzenden Neubauten et Freiwillige Selbstkontrolle, pour ne citer qu’eux). Il a aussi créé le terme « German New Wave » et s’est retrouvé au bout d’un moment dans une impasse financière quand tous ces gens se sont mis à faire de la merde.

Criblé de dettes, il n’avait pas un rythme de vie particulièrement sain mais est quand même parvenu à sortir des CDs. En fait, il est même allé jusqu’à fonder un autre label, What’s So Funny About, et a pris des petits groupes méconnus sous son aile comme Blumfeld dans les années 1990. Pour certains, c’est un vieux grand-père grincheux endetté jusqu’à la moelle, la relique d’une longue ère révolue. Même s’il y a un peu de vérité dans tout ça, Hilsberg et son travail actuel contribuent à faire de la musique un atout culturel. Il sort toujours des disques, et entend bien persévérer dans cette voie.

Blumfeld

Vice : On n’a pas beaucoup entendu parler de vous cette année. Comment ça se fait ?

Alfred Hilsberg : J’ai traversé une crise d’identité, comme beaucoup de gens en Allemagne. Pour moi bien sûr, c’était la conséquence de la dématérialisation du disque. Là j’ai commencé à me demander « Mais qu’est-ce qu’il se passe, là ? »

Combien de fois vous êtes-vous posé cette question ?

Tous les jours [rires]. Enfin, presque tous les jours depuis 1982. Pendant ces premières années suivant la création du label, ce n’était pas trop le moment de se poser des questions existentielles. Mais l’effondrement de la German New Wave – GNW – a été une sorte de déclic : nous n’étions pas aussi indépendants que ce que nous pensions. Bien entendu, on contrôlait toutes les sorties, mais on a fini par réaliser que nous faisions toujours partie de l’industrie musicale.

Parce que vous vous voyiez comment, avant ?

On voulait œuvrer indépendamment des structures existantes dans l’industrie musicale et ses machines marketing. On voulait que ce soit un phénomène culturel, pas un phénomène marketing. Le problème c’est qu’on n’a pas réussi à tout gérer et ça s’est transformé en une sorte de phénomène de mode. En ce qui concerne la GNW, les majors ont mis la main dessus et le marché s’est retrouvé envahi par pas mal de trucs sans intérêt, et qui ont attiré l’attention des médias. Les gens n’achetaient plus rien d’innovant ou difficile d’accès. En fait, ils n’achetaient plus rien. Il y a eu une grande période de vide à partir de 1983, jusqu’à 1985 voire, 1986.

Ça veut dire que l’engagement des premiers clients des années ZickZack s’était aussi arrêté.

Oui. Il y a peu de gens qui sont restés fidèles. Il y avait les gens qui ne se contentaient pas d’acheter, d’en parler et de nous respecter juste parce que c’était « in » de le faire, mais parce qu’ils voyaient ça comme une culture qu’ils ont réellement adoptée. Pour les autres, c’était juste une tendance qu’il fallait connaître pour pouvoir frimer devant n’importe qui.

À quel moment s’est achevé ce passage à vide ?

Cette crise identitaire s’est résolue toute seule parce qu’il y a eu quelques succès commerciaux signés sur le label What’s so Funny About, comme Gun Club, Henry Rollins et Nikki Sudden. À la fin des années 1980, l’atmosphère était redevenue généralement plus positive. C’était au moment de la pseudo-réunification. De nouvelles formes d’expression presque excessives sont arrivées à Hambourg et ont ramené des gens complètement différents comme ceux de la « Hamburg school ». Ce terme avait été inventé par des journalistes. C’est passé d’un label à un terme marketing. Néanmoins, ce terme n’a jamais été utilisé puisque cette école n’a jamais existé.

Est-ce que le désastre de la GNW a déteint sur votre stratégie commerciale ?

Et bien grâce aux succès que j’ai mentionnés juste avant, j’ai laissé les grandes structures de l’industrie musicale me prendre en otage. Ça a commencé dans les années 1980 quand le style de marketing a changé. J’agissais comme l’aurait fait une major, simplement sur une plus petite échelle. J’ai dû me réduire à apprendre toutes leurs stratégies même si j’en avais pas envie. Avec du recul, j’ai pu constater qu’aucune de ces stratégies ne m’a servi à vendre plus de disques.

Avant, les fans nous arrachaient littéralement les CDs des mains, et c’était sans stratégie marketing. Les journalistes nous couraient après, pas le contraire. Il y avait une queue interminable et ils demandaient des démos, mais on leur disait non. On leur disait « Il faut payer ». Et ils le faisaient, heureusement. On devait faire nos calculs et apprendre comment une entreprise fonctionnait. Je ne sais comment, mais je me suis retrouvé à devoir 25 000 Deutschmarks d’impôts. C’était dû aux sommes pyramidales qu’on gagnait, mais bien sûr on ne réglait pas les impôts.

Par naïveté ou par pure volonté ?

Par naïveté. De toute évidence, je ne faisais pas la comptabilité. Je ne savais même pas en quoi ça consistait [rires]. J’avais une énorme boîte remplie de reçus, puis le percepteur est venu et m’a fait « Ça ne va pas ». Je m’en suis sorti avec 25 000 marks à payer.

Henry Rollins

Est-ce la dette qui vous incombe toujours aujourd’hui ?

Non, là c’est de l’argent que je dois aux banques. Je suis allé dans la plus grande banque Sparkasse à Hambourg, j’ai filé directement au département des prêts, et je leur ai demandé si je pouvais avoir un prêt de 50 000 marks. J’avais juste besoin d’argent pour démarrer une nouvelle vie. Je leur ai dit que je savais comment relancer le label et que c’était eux qui pouvaient m’offrir l’argent nécessaire. Le lendemain, l’argent était sur mon compte mais je n’ai jamais réussi à tout leur rembourser, et je me traîne encore cette dette aujourd’hui. Mais ça ne m’embête plus.

Ça ne vous dérange pas d’être endetté ?

Ce n’est pas réel pour moi. C’est juste un phénomène virtuel. Ce serait beaucoup plus difficile si je devais concrètement rembourser 500 euros par mois. Là, je serais embêté. Mais ça ne marche pas comme ça.

Quels aspects de la fainéantise dont fait preuve l’industrie musicale vous énervent ?

En gros, que ses acteurs principaux se contentent des mêmes structures. Ils sont juste incapables de se reformer. Ils n’ont pas remarqué qu’ils sont superflus. Prenez Universal, la plus grande major de l’industrie du disque, qui marche de la même façon depuis toujours : balancez trente trucs sur le marché, et l’un d’eux finira bien par marcher. Cette technique les fait marcher depuis des décennies. Ils sortent un truc pour pas cher en voyant ce que ça donne sur Internet. Motor fonctionne sur le même principe. Tim Renner sort des trucs, mais pas directement sur CD. S’il n’est pas convaincu que ça marchera, il va voir ce que ça donne digitalement. Il s’y prend de façon à mener les méthodes de l’industrie musicale à l’extrême. Quand il fait quelque chose, il veut avoir tous les droits. Pas juste les droits d’exploitation et de publication. Il veut les droits commerciaux, les droits de management, les droits de publication, les droits digitaux, en clair toutes les parts du business. Un futur où les labels demanderont aux artistes d’amener leurs sponsors et de signer leur contrat avec eux est possible.

Est-ce qu’un label indépendant peut toujours marcher à cette échelle ?

De ce que j’en sais, Renner est devenu le favori de cette scène grâce à ses méthodes. Ça n’a pas vraiment de rapport avec notre idée de la culture indépendante. À cause de ces changements de structures, on peut avoir l’impression qu’il faut vraiment faire la compétition avec les artistes autour de nous pour faire du profit et survivre dans le marché aujourd’hui. De nombreux artistes s’y mettent parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autre manière de sortir leur album.

Les moyens de communication de l’industrie musicale ont subi un changement radical ces dernières années. Comment est-ce que vous gérez tout ça ?

En prenant en compte l’apparition du digital depuis 2000, on s’est régulièrement demandé s’il y avait toujours un intérêt pour nous de travailler en tant que label de disques. Le téléchargement ne me dérange pas, c’est la perte de conscience sur la valeur de la musique qui me pose problème.

C’est impressionnant de voir que même dans un environnement comme ZickZack, on constate une perte de conscience de la vraie valeur de la musique.

C’est triste, mais c’est entièrement vrai. Bien entendu, il y a toujours beaucoup de gens, surtout des adultes, qui s’informent par le biais de revues culturelles, qui continuent à acheter des CD ou à télécharger de la musique légalement. Mais la génération suivante est sans pitié et ne semble pas voir la musique comme un atout culturel mais comme une chose acquise qu’on peut trouver à chaque coin de rue.

Est-il trop tard pour apprendre à cette génération à respecter la musique ?

Je ne sais pas ce qu’il leur faudrait pour changer d’attitude. Théoriquement parlant, on aurait besoin de quelque chose comme une grève de la musique. Il nous faudrait un mouvement entier de musiciens, qui s’organiserait entre eux ou se syndiqueraient pour annoncer qu’ils ne veulent plus faire de musique jusqu’à ce que les gens arrêtent de télécharger. Mais comment est-ce que ça pourrait marcher ? C’est impossible. Personnellement, je ne pars pas non plus à la poursuite de la Fata Morgana de l’Internet. Notre base reste les albums matériels. Je pense qu’internet a beaucoup contribué à la dévaluation de la musique. Ce n’est plus vu comme le produit d’une société qui coûte de l’argent et a besoin d’argent en retour. Les gens achètent des t-shirts et toutes les vieilles merdes qu’ils peuvent obtenir lors d’un concert. Sans mentionner le fait qu’ils sont contents de payer leur place de concert une fortune.

C’est le point de vue d’une personne qui possède un label. Mais du point de vue d’un client, est-ce qu’il croit soutenir l’artiste ?

En ce qui concerne les places de concerts en club, ce genre de comportement m’est tout à fait acceptable. Mais beaucoup de gens se font de l’argent avec les gros concerts et festivals, et c’est pareil pour tous les goodies de merde.

Mais le client ne s’en rend pas compte.

Le client ne s’en rend pas compte, c’est vrai. On peut émettre l’hypothèse qu’ils pensent qu’en achetant un maillot avec le nom de Ballack dessus, la majorité de leur argent ira à Ballack. Ils n’ont pas conscience que c’est la Fédération allemande de football qui remplira ses caisses. Ils ne savent pas, c’est tout. 1,2 million de t-shirts ont été vendus pendant la coupe du monde, et chacun coûtait en moyenne 59 euros. C’est fou.

Katze

On entend souvent dire qu’il y a eu une démocratisation de ressources liée à la numérisation. Diriez-vous qu’il y a plus de choses sans intérêt qu’avant à cause d’internet, ou que c’est juste devenu plus visible ?

Je pense réellement qu’il y a plus de choses sans intérêt à cause de la numérisation. Simplement parce que n’importe qui peut y avoir accès, parce que quelqu’un de n’importe quel niveau peut produire de la musique et que ces niveaux ne sont pas intéressants. Je pense que c’est juste une pseudo-démocratie, parce que même maintenant, seules certaines personnes peuvent réellement s’affirmer – ceux qui ont de l’argent, par exemple. Cette histoire des Artic Monkeys était montée de toutes pièces. Sans argent, ils n’auraient jamais pu percer.
Vous refusez de croire que la qualité puisse prévaloir ?

Bien sûr, il existe toujours un cas particulier où la qualité prévaut sur le reste. Il est aussi possible que ça marche grâce à un stratagème rondement mené sur internet. Il y a plein de gens qui continuent d’essayer. Sur internet, j’ai entendu autant de bonnes choses que lorsque j’écoutais des démos. Et ça ne représente pas grand-chose.

Travailler dans la musique en tant qu’artiste ou manager de label, c’est un peu se battre pour survivre. Combien de temps tiendrez-vous ?

Il est clair que ça laisse des marques. Vous pouvez mesurer les conséquences rien qu’en me regardant. Prenez des photos de moi il y a 25 ans et vous verrez qu’il y a eu un changement énorme. Ce n’est pas juste à cause des drogues, mais aussi à cause de cette lutte quotidienne pour survivre. Certaines de mes connaissances dans le business veulent savoir comment on a réussi à rester en vie. C’est une grande surprise pour eux, que je continue à sortir des disques.

En parlant de drogues, c’est toujours un problème pour vous ?

Oui. Même si je suis surtout alcoolique. Je ne suis pas obligé de boire, mais j’aime ça. C’est comme ça depuis 67 ans. Ça a commencé avec le journalisme musical, en 1965. J’étais maître de conférences à l’école d’art d’Hambourg et j’ai eu un examen médical quand j’ai commencé. Ils ont vu que j’avais un problème de foie mais mon docteur m’a dit « Ce n’est pas grave, tes reins fonctionnent toujours ». Ça m’allait très bien comme ça. Je ne voulais pas faire de comparaison directe, mais vivre sans alcool équivaudrait à m’imaginer un monde sans musique. Et je ne peux pas le faire.

Comment allez-vous aujourd’hui ?

Récemment, je suis allée voir un docteur pour une pléthore de raisons diverses. J’ai perdu l’ouïe à cause du stress et j’ai dû prendre des médicaments un peu violents, comme de la cortisone. Je ne pensais pas que ça me ferait un effet pareil. À ce propos, mon docteur m’a dit qu’il faudrait que je traite ma consommation d’alcool autrement. Peut-être que je devrais me contenter de vin. [Rires]

Qu’est-ce que vous buvez, du coup ?

Exclusivement de la vodka. Je suis bourré après un verre de bière ou de vin, je ne supporte pas.

N’importe quel docteur vous dirait probablement d’éviter tout stress.

Je sais, il m’a déjà dit la même chose. Il voulait savoir si je pouvais faire autre chose que m’enfiler des comprimés. Je lui ai dit que j’essaierais de téléphoner moins et de réduire mon nombre de rendez-vous, ce à quoi il a rétorqué « Si vous n’arrêtez pas de vous imposer ce stress, je serais contraint de vous mettre à l’hôpital pour votre propre sécurité ».

Pensez-vous être la propre cause de votre santé, et que vous ne prenez pas assez de temps pour vous ?

Je m’occupe de moi d’une façon complètement stupide. Il faut vraiment que j’y remédie. J’aimerais avoir quelqu’un pour m’assister un peu pendant la journée, mais ça ne suffirait pas. Il me faudrait au moins deux personnes pour que je puisse avoir du temps pour moi, mais ce n’est pas financièrement envisageable pour l’instant.

Pourquoi la musique allemande peine-t-elle autant à marcher à l’étranger ?

C’est un problème complexe. La musique la plus intéressante se fait toujours dans les pays anglo-américains – musicalement parlant en tout cas. Les paroles, c’est un autre problème. Ici en Allemagne, les gens ne prêtent pas beaucoup d’attention aux paroles. Le Krautrock et Kraftwerk sont les seules exceptions à la règle. Il y a beaucoup de pays, en particulier les États-Unis et le Japon où les gens veulent écouter une musique juste parce qu’elle vient d’ailleurs. Einstürzende Neubauten, Palais Schaumburg et Blumfeld n’étaient pas juste musicalement intéressants, c’était une attitude à part entière. Ces groupes avaient quelque chose d’original, ils étaient vus comme étant authentiques. Et c’est nécessaire, si tu désires que ta musique soit écoutée en dehors de l’Allemagne.

Ce qui est difficile, bien sûr, c’est quand des groupes allemands copient les Américains ou les Anglais.

Complètement. Encore plus quand on constate qu’il est très difficile de positionner la musique allemande internationalement. Beaucoup de nos connexions internationales se sont arrêtées avec la fin de Blumfeld. Non pas que ce soit la faute de Blumfeld. C’est aux nouvelles technologies et à la crise de l’industrie musicale que l’on doit dire merci.

Y a-t-il eu des moments dans votre vie où vous pensiez en avoir assez de la musique ?

En effet, il y en a eu. Mais surtout en 1982-1983, quand la GNW s’est effondrée et qu’elle a failli nous entraîner dans sa chute. C’était trop pour moi, et j’ai eu envie d’arrêter. Je n’avais pas le courage de continuer. C’est là que j’ai commencé à écrire pour Sounds Magazine. Je passais mes journées à écouter de la musique et à en parler. Si vous écoutez une trentaine de nouvelles choses en une journée, vous commencez à vous dire que vous ne voulez plus rien écouter. Au milieu des années 1980, j’ai recommencé, mais de manière très sélective. En fait, pendant environ dix ans, j’ai arrêté de suivre, de remarquer et de critiquer toutes les tendances émergentes. Chaque personne a son point de non-retour, et je me fiche des discussions superficielles sur les groupes cools désormais.

Jen Friebe

Vous aviez un plan B ?

Non. C’est ma faute, j’aurais dû en prévoir un. Mais je n’ai jamais vraiment réfléchi à ma propre existence. Je ne me suis jamais assez protégé.

Vous n’aimez pas être vu comme le patron du punk, je me trompe ?

Le punk m’a toujours semblé stupide et limité – musicalement, et en terme de style. Je n’ai pas envie d’être apparenté au punk. On va prendre pour exemple Abwärts que j’avais signé, c’était un peu une relation de type « je t’aime, moi non plus ». Je les ai réécoutés récemment à la radio. Le groupe m’a dit que je ne les avais jamais appréciés, et je leur ai répondu « Oui, c’est vrai. » Ils m’ont fait « Mais ça ne t’a pas empêché de prendre notre argent », et j’ai répliqué « Bien entendu ! ».

Malgré toutes nos différences, on en a fait beaucoup pour Abwärts et ils ont fait beaucoup pour nous, en terme d’organisation. Ils ont distribué leurs propres démos et leurs propres disques parce qu’ils voulaient en avoir le contrôle. Ils ont aussi gagné plus d’argent que les autres groupes, précisément parce qu’ils étaient très impliqués.

Ils ont agi selon votre idée de ce que devraient être les artistes.

L’artiste idéal n’existe pas. Le mieux que l’on puisse faire, c’est s’impliquer avec une grande variété de personnes différentes. Je pense qu’un artiste devrait vivre selon ses propres principes. Il devrait être capable de tout contrôler. Il devrait pouvoir être lucide et se promouvoir lui-même. Il devrait être là lorsque son site est créé, il devrait connaître les droits d’un artiste et tout ce qui est relatif au copyright, et savoir quels sont ses droits de performance, aussi. Il devrait mesurer la portée que peut avoir la pochette d’un disque – ce n’est pas juste une jolie photo, ça crée aussi une image. Beaucoup d’artistes me diront que savoir toutes ces choses, c’est du matraquage, mais ce sont des points essentiels. Dans certains cas, ça m’a mené à me lasser d’un groupe ou d’un artiste avant que je réalise que le musicien n’était même pas sérieux. Pour eux, c’est juste un moyen plutôt sympa de s’occuper pendant leur temps libre, lorsqu’ils n’étudiaient pas.

Y a-t-il un artiste en Allemagne que vous aimeriez signer sur votre label ?

C’est une question délicate. Je suis dégoûté que les Panik ne soient pas sur mon label. Je n’ai même pas pu décider, d’un coup il y a eu un flot de personnes qui m’ont dit que je ne pouvais pas les signer. Ce sont de vieilles embrouilles berlinoises, une expérience que j’aurais aimé éviter. Mais il n’empêche que j’adore le groupe !

Vous êtes-vous déjà dit que vous pourriez gagner beaucoup d’argent grâce à la musique ?

Non, jamais. Certains l’ont pensé, mais ça n’a jamais été mon genre. J’ai juste fait ce que je voulais faire, ou à peu près.

Avez-vous déjà regretté une décision ?

J’aurais peut-être dû être un promoteur de concerts ou un organisateur, pas un manager de label. J’en avais l’opportunité. Une agence anglaise de concerts m’a demandé si je voulais être leur représentant allemand parce qu’ils me voyaient bien dans ce rôle. J’avais fait tous les grands concerts en Allemagne de 1980 à 1982, tout, de The Cure jusqu’aux Dexy’s Midnight Runners. J’avais l’occasion de lancer une agence de touring prospère. Ça a été une erreur de ne pas le faire, mais je ne la regrette pas.

Ça fait trente ans que vous faites votre métier. Qu’est-ce qu’il va se passer pour vous après ?

Malgré toutes ces discussions sur les crises, que j’apprécie, il y a toujours quelque chose de bien à venir. Bien sûr, beaucoup de ces choses bien sont à Berlin maintenant, mais c’est le plaisir de la capitale qui fait ça. Les deux prochaines sorties ZickZack sont des artistes berlinois, avec qui je travaille depuis un moment. Katze sort son deuxième album chez nous, et le quatrième album de Jens Friebe est prévu pour octobre. Je n’ai pas envie de tous les lister, mais 206 vont vraiment exploser l’année prochaine. Vous verrez, mon apogée sera pour la trente-et-unième année de ma carrière.

Article initialement publié sur Viceland.com

Crédits illustration : Franck Hohne ; Images Oliver Schultz-Berndt ; Kiron Guidi ; Mosesxan ; bloernstar

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