FCC: à neutralité, neutralité et demi

Le 7 janvier 2011

La Federal Communications Commission, le régulateur américain des télécoms, vient enfin de trancher (mollement) le débat aux États-Unis. L'occasion de faire un point sur la neutralité des réseaux. Peu reluisant.

[Tous les liens sont en anglais] Après plus d’un an de tergiversations, la plus haute instance américaine de régulation des communications, la Federal Communications Commission (FCC) a déterminé le 21 décembre dernier que les fournisseurs américains d’accès à Internet (Verizon, AT&T, Comcast, etc.) ne pouvaient pas, entre autres, discriminer le contenu qui passe dans leurs câbles, permettant ainsi normalement à tous les internautes d’accéder équitablement à tous les contenus disponibles en ligne. C’est ce qui est appelé « neutralité du Net ». Une décision adoptée à trois votes démocrates contre deux républicains.

Julius Genachowski, le président de la FCC, s’est bien soucié d’adopter des règles dans « un cadre non idéologique – qui protège les libertés numériques et l’ouverture d’Internet tout en assurant l’innovation et l’investissement sur tout le réseau câblé ». Pourtant, ce compromis n’a satisfait personne.

Le WiFi, en pleine croissance mais oublié

D’abord, la FCC a seulement statué sur le réseau câblé, décrétant qu’il était trop tôt pour en faire de même avec le réseau WiFi. À ce titre, l’instance de régulation a même demandé aux opérateurs WiFi de rester « transparents » sur la gestion de leurs contenus. Aujourd’hui, 77,3% des foyers américains accèdent à Internet par câble ADSL, mais le WiFi gagne du terrain avec l’utilisation des Smartphones,  qui, pour Jerry Rocha, directeur de la division Internet de l’entreprise Nielsen, « sont en passe de devenir le type de téléphone le plus utilise en 2011 ».

C’est notamment pour cette raison que FreePress, une ONG fondée en 2002 qui s’attèle à la reforme des médias aux États-Unis, a confié sa déception à Reporters sans frontières à l’issue du vote de décembre 2010 : « Après un an de promesses en faveur de la neutralité du Net, [Julius Genachowski] a pris une décision qui favorise largement l’industrie que son agence est censée réguler, et non les internautes » a expliqué Tim Karr, directeur de la campagne consacrée à la neutralité du Net.

FreePress : « Internet à deux vitesses »

Selon l’organisation, qui s’est largement illustrée dans la lutte en faveur de la neutralité du Net, les règles adoptées permettent d’instaurer un « Internet à deux vitesses » sans protéger les internautes contre la discrimination des contenus car elles ne concernent pas les millions d’Américains qui n’accèdent à Internet que par leur téléphone.

D’ailleurs, le 5 janvier 2011, la FCC a lancé un concours pour la création d’une application qui vise a fournir aux internautes des informations sur le niveau de respect des libertés numériques de leurs fournisseurs d’accès, qu’il s’agisse de réseau ADSL ou WiFi.

Ensuite, parmi les sceptiques, on relèvera la position d’Harold Feld, consultant juridique du groupe de défense des droits digitaux Public Knowledge à Washington. Pour lui, il s’agit d’un « pas en avant », mais surtout d’une «occasion ratée d’être précurseur en la matière». « Espérons qu’un jour, nous arrêterons de faire des pas en avant pour définir un Internet ouvert et que nous serons a même de donner aux consommateurs la protection réelle qu’ils méritent ».

Parmi les déçus, on peut également compter les entreprises de télécommunication. AT&T a par exemple déclaré que cette décision n’était «pas idéale» et Verizon s’est avoué «très préoccupé». Même les fournisseurs de contenus – notamment l’entreprise de vidéo en streaming Netflix- a montré son mécontentement devant le manque de protection de ses services.

La capacité d’innovation remise en cause ?

Enfin, contrairement aux partisans de l’interventionnisme de l’État et prônant le choix des consommateurs, la compétition et l’autorégulation du marché, d’autres organisations telles que Hands Off The Internet et Net Competition refusent tout contrôle du gouvernement. Lors du vote du 21 décembre, Scott Cleland, président de Net Competition, a d’ailleurs déclaré que « le vrai danger réside dans le fait que la FCC bloque, dégrade et affaiblit la capacité d’Internet à évoluer et à s’améliorer comme cela s’est déjà vu, en imposant des règles coercitives et superflues à un système qui repose sur un consensus ». Et pour certains, la FCC n’a en aucun cas l’autorité pour réguler Internet. L’une des premières résolutions de 2011 du Congrès américain nouvellement constitué a d’ailleurs été d’introduire un projet de loi, l’Acte pour les libertés numériques (Internet Freedom Act), statuant notamment que seul le Congrès pouvait réguler le Net. Co-signé par 60 membres en majorité républicains, il pourrait annuler le rôle de la FCC dans ce domaine.

Avant le vote, l’association progressiste Progressive Change Campaign Committee (PCCC) avait qualifié les règles mises en avant par la FCC de «fausses» allant jusqu’à déclarer qu’elles avaient été «écrites par AT&T, Comcast et Verizon». La FCC n’a jamais fait de remontrances à Google, qui s’est prononcé en faveur de la neutralité du Net, et Verizon, qui avait défini un accord afin de favoriser l’accès des abonnés à leur réseau respectif dès juin 2009. Les deux entreprises avaient annoncé ce partenariat afin d’ « offrir aux consommateurs une palette de produits alliant la vitesse de l’opérateur le plus important aux États-Unis avec la flexibilité de la plateforme mobile Android ». L’accord est déjà mis sur pieds, comme l’a rapporté TechCrunch.

L’idée a donc fait du chemin depuis 2007, quand AT&T, le plus large fournisseur américain d’accès à Internet, avait omis de retransmettre le son d’une chanson du groupe Pearl Jam lors d’un festival à Chicago. Sans régulation, les opérateurs pouvaient en faire à leur guise et AT&T n’a d’ailleurs jamais été sanctionné pour ce que le groupe avait qualifie de « censure » – l’opérateur d’ « erreur ». Les deux vers muets étaient : « George Bush, leave this world alone » (« George Bush, laisse ce monde tranquille ») et « George Bush find yourself another home » (« George Bush, trouve un nouveau foyer »). Intentionnel ou non, le fait qu’un opérateur puisse agir à sa guise sur un réseau sans règles avait fait débat. La question s’était reposée un mois après quand Verizon avait déclaré avoir le droit de rejeter des contenus « controversés et offensants » en refusant de laisser le groupe anti-avortement Naral Pro-Choice America utiliser son réseau pour une campagne de SMS.

Et l’information dans tout ça ?

On peut aisément imaginer que les organisations en faveur de la neutralité du Net craignent que les citoyens ne puissent pas accéder à WikiLeaks aussi aisément qu’à CNN par exemple car les opérateurs favoriseraient la diffusion de certains contenus. Une étude publiée par la Commission Knight réunissant dix-sept experts des médias en octobre 2009 déclarait déjà que « l’ouverture des réseaux est essentielle pour répondre au besoin d’information des différentes communautés » et allait dans le sens de la protection de la neutralité du Net afin de garantir l’avenir du journalisme au États-Unis.

Malgré tout, le seul journal à s’être prononcé sur la question reste le Wall Street Journal. Dans un édito daté du 30 décembre dernier, la rédaction s’interrogeait pourtant sur la légitimité de la FCC à adopter ces règles ainsi que sur le besoin de régulation.

Les six principes adoptés par la FCC le 21 décembre 2011

1 – Transparence : consommateurs et innovateurs ont le droit de connaître les caractéristiques basiques de performance de leur service d’accès à Internet ainsi que la manière dont le réseau auquel ils appartiennent est géré.
2 – Pas de blocage : ce principe inclut le droit d’être à la source et de recevoir un trafic qui réponde aux termes de la loi. Il est interdit de bloquer tout trafic légal, applications, services et mode de connexion d’appareil qui ne porte pas atteinte à l’intégrité du réseau.
3 – “Level Playing Field” : consommateurs et innovateurs ont le droit a une certaine marge de manÅ“uvre (ou “Level Playing Field”). Ceci signifie qu’il est possible de bannir la discrimination abusive de contenus. Il ne peut y avoir d’accord favorisant le principe de “payer pour la priorité” qui impliquerait des connexions rapides pour certaines entreprises seulement.
4 – Gestion du réseau : les FAI peuvent définir eux-mêmes la gestion de leur réseau. Il leur est possible de proposer des service tiers à leurs clients en fonction de leur consommation de bande passante.
5 – Mobilité : les règles adoptées aujourd’hui ne sont pas toutes applicables au réseau mobile. Doivent l’être celles qui demandent une transparence de la part des FAI et leur interdisent de bloquer des sites ainsi que l’accès à certaines applications.
6 – Vigilance : ces principes créent un Comité consultatif sur l’ouverture d’Internet (Open Internet), qui assiste  la Commission en surveillant l’état des libertés numériques et les résultantes de ces règles.

Images CC Flickr PIXistenz et WSDOT

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