En attendant Assange

Le 12 janvier 2011

Le fondateur de WikiLeaks s'est présenté hier devant le tribunal pour une audience préliminaire au jugement relatif à son extradition. Olivier Tesquet nous en fait le récit.

Loin du centre de Londres, au-delà des Docklands, de Greenwich et du Woolwich Ferry, le tribunal de Belmarsh est un bâtiment administratif on ne peut plus anonyme, situé à quelques encablures de la prison du même nom. C’est ici qu’est discuté le cas de Julian Assange. Devant la ferveur des journalistes, la justice britannique a préféré transférer l’affaire à cet endroit, pour mieux accueillir la foule des correspondants et autres caméras de télévision. Au total, pour l’audience préliminaire du 11 janvier, pas moins de 100 sièges ont été réservés pour la presse: 40 dans la salle 3, où se déroulent les débats, et 60 dans une annexe dévolue aux médias, un Algeco situé à l’extérieur du tribunal. Outre les journalistes britanniques, allemands, italiens ou suédois, une bonne centaine de photographes et cameramen se tiennent à l’entrée, stationnés depuis le petit jour sur la pelouse.

A 8h30, les premiers accrédités commencent à arriver. Un confrère de la BBC joue les guides, et tandis que la cafétéria du tribunal fait office de salle de rédaction, Mark Stephens, l’un des avocats d’Assange, teint rougeaud et costume hors d’âge (à son passage, certains persifleurs raillent son air “cockney”), multiplie les allers et venues, les bras chargés d’épais dossiers. Sur le programme récupéré au secrétariat général, on remarque que l’audience d’Assange n’est qu’un événement parmi d’autres de la journée. Rien d’anormal: il ne s’agit que d’un “case management”, soit un rebondissement intermédiaire sans grandes conséquences sur le déroulement de la procédure. Ce n’est pas aujourd’hui que la cour décidera de l’extradition du fondateur de WikiLeaks.

D’emblée, Geoff Robertson, le vétéran anglo-australien du barreau qui a récemment offert ses services à Assange, déplore les conditions de l’assignation à résidence de son client. Hébergé dans le manoir géorgien du Norfolk de Vaughan Smith (le journaliste-restaurateur-fondateur du Frontline Club, un réseau de journalistes d’investigation dont le quartier général est situé près de la gare de Paddington), Assange doit effectuer plusieurs heures de trajet en voiture pour venir aux audiences. Le matin du 11 janvier, il a quitté la vaste propriété de son hôte sur le coup de trois heures du matin.

Porteur d’un bracelet électronique, contraint de pointer tous les jours au commissariat, le grand Australien ne laisse pourtant échapper aucune émotion. Escorté par deux policiers en uniforme, il est venu s’asseoir sur une banquette au fond de la salle. Après avoir brièvement salué ceux venus le soutenir à travers la vitre qui le sépare du reste de l’assistance, il a écouté les délibérations, impavide. Pendant ce temps, dans la salle réservée au médias, les hauts-parleurs crachent les convocations d’autres procès, comme on expédie les affaires courantes. En une grosse quinzaine de minutes, les avocats d’Assange obtiennent qu’il puisse passer les nuits du 6 et du 7 février au Frontline Club. L’objectif? Être frais et dispos les 7 et 8, lorsque la cour statuera sur son extradition.

L’audience levée, Julian Assange et ses proches se dirigent vers une salle de conférence attenante à la cafétéria, emmenant dans leur sillage le cortège des journalistes. Mark Stephens va même jusqu’à s’improviser garde du corps quand un journaliste essaie de rentrer furtivement dans la pièce. “Fous le camp”, s’emporte-t-il. Derrière un hublot, la quinzaine de personnes qui assiste à la réunion discute pendant 30 bonnes minutes. Autour de la table, Jemima Khan, l’ex-confidente de Lady Di, qui a payé une partie de la caution pour faire libérer Assange. Elle a emmené avec elle sa belle-fille américaine, “pour lui faire vivre cette expérience”. En revanche, aucune trace de Kristin Hrafnsson, le porte-parole par intérim de WikiLeaks, qui n’a visiblement pas fait le déplacement.

En sortant de ce conciliabule, Assange donne l’accolade à son avocat en riant. Une fois dehors, l’allocution est brève, bien loin des sorties médiatiques des débuts, quand il dénonçait une “campagne de dénigrement” et parlait de complot contre sa personne. Quelques mètres plus loin, une micro-manifestation peine à se faire entendre. Parmi eux, un quadragénaire à dreadlocks cite Timothy McVeigh, le terroriste d’Oklahoma City, tandis qu’un Anonymous masqué cotoie les partisans de Ukip, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. Drôle d’attelage. Assange ne les voit pas, ni ne les entend. Cette fois-ci, escorté par Mark Stephens et Jennifer Robinson (sa deuxième avocate britannique), il se contente de ces quelques mots.

WikiLeaks continue de travailler [...] et nous publierons de nouveaux documents.

Quelques jours après s’être adjoint les services de Borkowski, un leader anglais des relations publiques (qui compte Sony, Nissan et… Jean-Michel Jarre parmi ses clients), faut-il voir dans cette pondération une nouvelle stratégie de communication? Juste après avoir quitté les lieux, le cabinet de Stephens publiait sur son site la première mouture d’un document contestant les charges pesant contre Assange, “à la demande de [son client]” (PDF). En 35 pages et 99 points, l’équipe légale du visage de WikiLeaks tente de prendre de vitesse la justice suédoise, qui n’a toujours pas transmis de preuves au Royaume-Uni. La méthode a peut-être changé, mais chez Assange, la défiance a toujours droit de cité.

Illustration CC FLickR a.powers-fudyma, photos par Olivier Tesquet.

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