Les rockuptibles du Bangladesh

Le 9 juillet 2012

Pour les jeunes groupes de rock indépendants, les réseaux sociaux offrent la possibilité de recruter quantité de fans. Des spécimens pas si facile à attraper, et parfois très très très virtuels. Les Inrocks viennent d'en faire la cruelle expérience, lors de leur dernier concours InrocksLab du mois de juin. Mais cette fois-ci, la morale est sauve.

Concert de The Ruby Cube à l'International (c) TomoWat via Adèle Bauville

Une petite histoire révélant les limites d’un système. Le 30 juin 2012,  Killtronik, jeune groupe parisien, a été désigné vainqueur du dernier concours InrocksLab de la saison dans la catégorie choix du public. Ce public était exclusivement composé d’internautes qui ont voté en ligne pour leur groupe favori. Ruby Cube, dauphin du concours avec 500 voix de retard, a émis des réserves à propos de la validité des votes et a demandé des explications au magazine. Adèle Bauville, manager du groupe, revient sur sa démarche :

Nous avons constaté une explosion du nombre de likes sur la page Facebook de Killtronic sur la durée du concours. Le nombre de fans est passé de 5000 à 10 000 en quelques semaines. On peut voir sur cette page publique que la majorité de ces likes proviennent de Dacca, au Bangladesh. Or, de nombreux votes ont été enregistrés entre minuit et 6h du matin.  Nous avons alors choisi de contacter la rédaction des Inrocks pour leur faire part de nos doutes.

Évolution du nombre de fans de Killtronik entre juin et juillet (capture d'écran facebook)

Le jury du concours se concerte et l’équipe décide de valider la victoire de Killtronic, en appliquant strictement le règlement. Contactée par mail, Abigail Ainouz, community manager des Inrocks, précise :

Nous sommes conscients des achats de fans Facebook de Killtronik mais nous n’avons actuellement pas de preuves quant au fait que les likes de vote de ce groupe sur notre plateforme (correspondant à un url tout à fait différent par rapport a leur page fan) soient également achetés et donc constituent une fraude. Nous ne pouvons pas disqualifier un groupe sans preuve suffisante.

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Naturellement, l’achat de likes Facebook ou de followers sur Twitter n’est pas un crime. Certaines entreprises, à l’instar de la Française Boostic, en ont même fait leur spécialité et proposent à n’importe quelle structure d’améliorer son influence virtuelle. Aux États-Unis, Freelancer peut offrir ce service en achetant des fans depuis l’Inde, le Bangladesh, ou le Pakistan. Le manque de transparence de ces sociétés soulève toutefois de légitimes interrogations sur les méthodes utilisées.
Si rien n’interdit aux Bangladeshis de devenir les groupies d’un artiste français émergent, l’intérêt de constituer une communauté de fans à des milliers de kilomètres pour le groupe ne semble pas relever de l’évidence.
Alfio Rizzo, manager de Killtronic, évoque une autre pratique pour assurer la promotion des indépendants sur le web :

Nous cherchons avant tout à créer un trafic et augmenter au maximum notre visibilité. Notre stratégie repose sur un mailing intensif, basé sur le réseau international de notre producteur. C’est une technique très utilisée par les majors.

Un argument peu convaincant. L’enjeu serait alors d’affirmer une transparence. L’organisation des tremplins pourrait être biaisée par l’ampleur du phénomène et remettre en cause non seulement les règles du jeu mais surtout la crédibilité des organisateurs. Cette éventualité a été prise en compte par le jury, comme le confirme Abigail Ainouz :

C’est la dernière sélection de la saison, nous allons devoir modifier des outils techniques pour la rentrée pour tracker ces liens Facebook, et pouvoir ainsi connaitre l’origine et la fréquence de leur utilisation.

Des mesures déjà appliquées officieusement : une semaine après la parution des résultats, Killtronik a décidé d’annuler sa participation et a été disqualifié, lundi 9 juillet au matin. Le jury des Inrocks a alors attribué la victoire à Ruby Cube, qui aura le droit de se produire sur la scène de la Flèche d’Or, mercredi 11 juillet.

Et si toi aussi tu habites au Bangladesh et que tu apprécies cet article, n’hésite pas à liker.


Photo de The Ruby Cube à l’International de Tomo Wat (c), avec l’aimable autorisation d’Adèle Bauville

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